mercredi, mars 05, 2025

End the FED (Ron Paul)

Il n'y a que deux problèmes importants en politique : la démographie et la monnaie. Le reste est du commentaire.

Les peuples comprennent très bien. le premier (sauf endoctrinement universaliste « antiraciste ») et absolument rien au second.

Ce livre, publié en 2009 et souvent réédité, parle d'un monde qui n'est déjà plus le nôtre.

En effet, Ron Paul est réaliste (les choses comptent) alors que nous vivons dans un monde complètement irréaliste (seuls les discours sur les choses, les représentations, comptent).

Ainsi, d'un point de vue réaliste, le dollar de 2024 ne vaut plus rien mais, dans notre monde irréaliste, tant que les gens veulent du dollar, no problemo.

Le livre de Ron Paul est tout de même intéressant : il montre comment la FED nous a amenés à ce monde irréaliste (là dessus, Ron Paul est très clair : la banque centrale est le moteur du Mensonge, de l'Illusion, de l'Irréalisme). Et, si un jour nous redevenions réalistes (suite à une guerre perdue par exemple), il serait de nouveau d'actualité.

La nécessité d'un mauvais système

Les banques centrales sont émettrices de monnaie, manipulatrices de taux et sauveuses de banques commerciales faillies. Elles sont intrinsèquement inflationnistes, même (surtout ?) lorsqu'elles prétendent lutter contre l'inflation.

Les fonctions politiques des banques centrales

Les banques centrales sont rendues nécessaires pour deux mauvaises raisons :

> la réserve fractionnelle, le fait que les banques commerciales peuvent prêter beaucoup plus que ce qu'elles ont en caisse. Rappel : le métier d'un banquier est d'emprunter à court terme, ce sont vos dépôts (lorsque vous déposez de l'argent à la banque, il ne vous appartient plus, vous le prêtez à cette banque) et de prêter à long terme. Pas la peine d'avoir fait vingt ans d'études pour comprendre que le fait que les banques puissent prêter 10, 20, 30 fois et plus que ce qu'elles ont est fondamentalement générateur de crises bancaires. Le métier de banquier est donc extrêmement risqué, d'où la recherche d'un prêteur en dernier ressort pour sauver leurs petites fesses.

> la cupidité de l'Etat. Quel délice pour l'Etat de pouvoir « imprimer » de la monnaie en appuyant sur un bouton (dans la réalité, en causant aux copains-coquins banquiers centraux, qui viennent des mêmes milieux, qui ont fait les mêmes études, et avec qui on est à tu et à toi), notamment pour financer les guerres.

L'idée même de banque centrale est belligène, puisqu'on peut financer les boum-boum-pan-pan avec de la fausse monnaie (c'est d'ailleurs pour cela qu'elles ont été inventées).

Les deux guerres mondiales n'auraient pas duré aussi longtemps sans les banques centrales. Vous ne serez pas étonné qu'Hitler fût vivement opposé à l'étalon-or. Les Etats-Unis sont sans cesse en guerre depuis que la FED existe, ce n'est pas un hasard.

L'idée même de banque centrale entraine l'abolition de la démocratie, puisque l'Etat peut acheter l'approbation du peuple avec de l'argent fictif. Comme dit Ron Paul, avec la monnaie de singe des banques centrales, les politiciens peuvent tout promettre à tout le monde.

Vous remarquerez qu'il suffit de supprimer le système fou de la réserve fractionnelle et de mettre un frein à la cupidité de l'Etat (Afuera ! Afuera !) pour que la nécessité de banques centrales disparaisse instantanément.

Une longue histoire

Il y a eu deux premières  tentatives de banques centrales aux Etats-Unis, qui ont pris fin en 1809 et 1836, les mentalités n'étant pas mûres pour l'abolition de la démocratie (c'est bien ainsi que les opposants présentaient l'enjeu à l'époque. Et ils avaient entièrement raison).

La création de la FED est un des rares complots réussis attestés dans l'histoire.

En 1910, les choses sont claires : il y a une majorité au Sénat pour considérer qu'une banque centrale est anti-démocratique et, donc, s'y opposer. Les dirigeants de Wall Street se réunissent secrètement (sous des noms d'emprunts) à Jekyll Island (nom prémonitoire). Ils veulent une banque centrale aux mains d'intérêts privés, exactement pour les mêmes raisons que les opposants : parce que c'est anti-démocratique, mais, pour eux, c'est une qualité. Et aussi, bien entendu, parce qu'ils comptent en tirer d'énormes profits.

Ils mettent au point une stratégie simple et efficace qu'ils appliqueront à la lettre. Ils font campagne (ils ont évidemment la grande majorité de la presse à leurs ordres) pour un système de réserve fédérale absolument inacceptable mais les discussions autour de ce projet acclimatent l'idée de banque centrale, puis, quand le fruit est mûr, ils proposent, en opposition à ce projet inacceptable, un projet plus « modéré », qui a toujours été leur véritable but et qui passe comme une lettre à la poste. Ces gens-là sont vicieux, mais personne n'a jamais dit qu'ils étaient bêtes.

De plus, ils font élire Woodrow Wilson, professeur d'économie à la solde de Wall Street durant toute sa carrière, sur un programme anti-Wall Street (plus c'est gros ...).

« Il est l'or, Monsignor. »



Ce graphique (attention, l'échelle est logarithmique) suffit à illustrer l'admirable dicton « La monnaie, c'est l'or. Le reste c'est du papier. ».

Pour être tout à fait complet, il faudrait y ajouter l'argent, tant le bi-métallisme parait être le système le plus efficace : à la fois souple et rigoureux.

Toujours est-il qu'en tant que réserve de valeur à long terme, l'or bat les monnaies-papiers à plate couture.

Surtout l'étalon-or a une vertu cardinale : il met un frein physique aux délires de puissances des hommes de l'Etat. C'est pourquoi ils le détestent.

Aux Etats-Unis, ce pays de la liberté, il était interdit, entre 1933 et 1975 aux particuliers de détenir de l'or, sous la menace de très lourdes peines.

Le 15 août 1971, la fin de la convertibilité du dollar en or, est donc une date très importante.

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Digression franchouillarde : les imbéciles qui nous tympanisent avec la loi de 1973 « Pompidou-Rotschild » (notez la discrète, si discrète, allusion judéophobe) ne sont que cela, des imbéciles.

Non, il n'y avait pas, au milieu de la cour de la Banque de France, un arbre magique sur lequel poussait l'argent gratuit et qui aurait été coupé par les méchants juifs. La « planche à billets » se payait toujours par l'inflation, qui pénalisait les pauvres, et la loi de 1973 n'a eu aucun effet sur ce processus. Et ce que l'Etat ne payait pas en intérêts, il le payait en dévalorisation de ses actifs. D'ailleurs, pourquoi me préoccupè-je de ces crétins ?

Il faut vraiment être le dernier des cons pour croire qu'il y a eu un jour un moyen facile, indolore et sans conséquences funestes de financer l'Etat de manière illimitée. Croire dans le socialisme, c'est croire au Père Noël pour les adultes.
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La FED et la politique

Congressman expérimenté (3 mandats entre 1976 et 2013), Ron Paul explique :

> Le Congrès se désintéresse totalement des questions monétaire, et même économiques, y compris dans les commissions spécialisées. Paul raconte cette anecdote qu'il apprend à un collègue de la commission monétaire que le dollar est détaché de l'or ! Tout ce qui passionne les congressmen, c'est d'avoir de l'argent à distribuer sans limite.

> il n'y a pas d'administration plus politique que la FED. Pour Paul, toutes ses décisions sont politiques, destinées à influer des élections.

La querelle des universaux toujours recommencée

En 1141, Bernard de Clairvaux atomise de manière fort peu charitable Abélard dans la querelle des universaux (réalisme par opposition au nominalisme), mais il donne ainsi trois siècles de répit à l'Eglise.

La question est toujours la même : les choses ont-elles une existence en dehors des mots que nous employons pour les désigner ?

Le catholicisme est profondément réaliste.

« Ce bout de papier vaut un dollar parce que la FED le dit » est de même nature philosophique nominaliste que « Roger est une femme parce qu'il dit qu'il est une femme ».

Il n'est donc pas étonnant que le règne de la monnaie flottante, totalement désancrée du réel, commence à la fin du bouleversement anthropologique des années 60, quand les églises se vident et le féminisme, ce précurseur du transgenrisme, triomphe.

Les civilisations sont cohérentes, même dans leur décadence.

Sans banque centrale

Ron Paul ne se fait pas d'illusions. Il sait qu'il ne sera pas facile de supprimer les banques centrales. Quand il écrit (2009), il dit même que l'intérêt des banques centrales est de pousser à la guerre. Après qu'elles aient provoqué tant de catastrophes, peut-être aura-t-on la sagesse de les supprimer.

Quand on interroge Ron Paul, « Par quoi remplacerait-on les banques centrales ? », il répond « Est-ce qu'on remplace les tumeurs cancéreuses ? ».

Si on supprimait les banques centrales, que se passerait-il ? Les banques et les Etats mal gérés feraient faillite, les monnaies de singe seraient remplacées par des monnaies plus solides.

Un moment très douloureux, mais l'assainissement moral, politique et financier est à ce prix.

Ensuite ? Très simple, on ferait comme avant les banques centrales.

La Monnaie de Paris existe depuis 864, la Banque de France depuis seulement 1800. Autrement dit, la France a vécu pendant plus de mille ans de banque centrale (baptême de Clovis 496).

L'émission monétaire serait gagée sur l'or (ou l'or et l'argent, encore mieux), on émet autant de monnaie qu'on a d'or. Simple, clair, sans entourloupe (mais pas sans tentative de rognage des monnaies, mais, au moins, c'est au grand jour).

Sans prêteur en dernier ressort, les banques auraient une forte incitation à la bonne gestion et les clients seraient obligés de se renseigner un peu.

Quant aux hommes de l'Etat, la distribution de friandises « gratuites » pour acheter les voix, finito.

Une vie économique et politique plus réaliste, plus saine. Et plus démocratique.

Enfin, je laisse le dernier, profond, à Javier Milei :

« Croire qu'imprimer plus de monnaie crée de la richesse, c'est comme croire qu'imprimer plus de diplômes crée de l'intelligence. »

Je dis que ce mot est profond parce qu'il y a effectivement des gens qui croient (tous les gauchistes par exemple, voir les 80 % d'une classe d'âge au bac de Chevènement) qu'imprimer plus de diplômes crée de l'intelligence.




lundi, février 24, 2025

Problèmes de notre temps (Claude Tresmontant).

Claude Tresmontant a tenu pendant quelques années une chronique de philosophie dans la Voix du Nord. Comme les chroniques d'Alexandre Vialatte dans la Montagne, on n'imagine plus cela aujourd'hui.

Ce recueil commence très mal : dans la préface, Tresmontant dit s'inspirer de cet enculé de Voltaire. Je comprends ce qu'il veut dire : Voltaire avait un talent pédagogique certain, mais l'exemple est tout de même fort mal choisi.

Ce n'est pas la première fois que je fais cette réflexion sur Tresmontant : il écrit des choses très intelligentes et très justes et, de temps en temps, une imbécilité indigne, comme de se dire de gauche, antiraciste ou de prendre comme référence Voltaire. Dans ce que j'ai lu de lui (qui n'est qu'une petite partie de sa grande production), je n'ai pas trouvé trace qu'il ait réfléchi sérieusement à ces sujets sur lesquels il donne un avis stupidement conformiste.

Plus grave. En 1977, Tresmontant fait encore l'éloge des « innovateurs » de Vatican II contre les « fixistes ». Sachant que la fréquentation des églises françaises a baissé de moitié entre 1960 et 1977, ce jugement ne témoigne pas d'un grand sens de l'observation, pour dire le moins.

Mais il se rattrape en faisant l'éloge des philosophes médiévaux et en se foutant de la gueule de ses collègues philosophes qui passent directement de Platon à Descartes.

Bref, j'ai abordé ces chroniques avec appréhension, en me disant que Tresmontant est fantastique pour l'exégèse de l'église primitive et pour la philosophie. Mais que, dès qu'il s'agit d'être réaliste et de parler de l'actualité, c'est un intellectuel crétin comme les autres, lui qui se réclame du réalisme intégral. Un curé de campagne a toujours plus de réalisme qu'un philosophe. Mon mépris des intellectuels de profession ne diminue pas.

Problèmes de Tresmontant

Ca commence fort, par une chronique totalement stupide, défendant l'abolition de la peine de mort (1977) sous le prétexte de la pacification de la société.

D'un point de vue réaliste, on sait que la peine de mort appliquée pendant plusieurs générations pacifie la société en éliminant avant qu'ils aient eu le temps de se reproduire les psychopathes et les caractères les plus violents.

D'un point de vue philosophique, jusqu'à l'hérétique François Zéro, le magistère catholique défendait la légitimité de la peine de mort légale avec des arguments autrement plus forts que « c'est pô gentil ».

J'en tire un théorème : plus Tresmontant s'éloigne de son sujet (l'ontologie chrétienne), plus il est conformiste et donc stupide. Toutes les intelligences ne fonctionnent pas comme cela : Montaigne et Pascal étaient capables d'avoir des avis originaux sur tout.

Je comprends mieux sa publication par la Voix du Nord, elle est sans risques : sur les sujets que les gens comprennent, Tresmontant est conformiste, sans danger. Et les sujets où il est original, les lecteurs s'en foutent.

L'exécution de Heidegger (et de l'université française)

En 1977, quand Tresmontant écrit, Heidegger est à la mode dans l'université français et il y est bien vu de considérer que son nazisme fut superficiel, momentané et carriériste.

En quelques pages, Tresmontant explique que la philosophie de Heidegger est obsessionnellement opposée à la création du monde, telle que la voient les juifs et les chrétiens : sous-entendu, son nazisme n'a rien de superficiel, il est ancré dans sa philosophie. Et que la mode d'Heidegger à l'université française vient justement d'un antijudaïsme/antichristianisme partagé.

Pour Tresmontant, c’est sans ambiguïté : le nazisme vient du fin fond de la philosophie allemande.

« Il est bien naturel qu'Heidegger s'écrie "Heil Hitler !" à la fin de ses discours aux étudiants en philosophie. »

Allez, encore une citation :

« Le vieux fond du paganisme antique, du paganisme de toujours, c'est la pratique des sacrifices humains : les enfants des hommes offerts en sacrifice aux divinités sanguinaires. Il n'y a pas lieu de s'étonner que la résurgence du paganisme germanique avec l'hitlérisme ait abouti lui aussi aux sacrifices humains, cinquante millions de morts »

Très belle exécution.

La publication posthume des carnets d'Heidegger, savamment échelonnée, où les allusions ne laissent aucun doute, donnent raison à Tresmontant a posteriori (donc bravo Tresmontant). La réhabilitation du nazisme, discrète mais tenace, à laquelle nous assistons en Europe à l'occasion de la guerre en Ukraine vient de loin.

Je regrette que Tresmontant ne parle pas d'Hannah Arendt (je suppose que, pour lui, c'est un personnage sans importance philosophique). Son avis m'aurait intéressé.

Une juive étudiante, amante et, surtout, passeuse, légitimatrice, d'un philosophe nazi, ça me chiffonne.

L'idée de banalité du Mal d'Arendt est trompeuse. Certes, le Mal est banal mais tous les hommes ne sont pas également mauvais. Eichmann n'a rien de banal, il a fait carrière dans le Mal.

Gunther Anders, lui aussi juif et étudiant de Heidegger, et ex-mari d'Hannah Arendt (la philosophie est plus souvent une affaire de cul qu'on ne croit) combattait Heidegger sans ambiguïté.

On remarquera (Tresmontant y insiste) qu'Heidegger est, comme l'ignoble Emile Combes, un séminariste défroqué.

La Création

Dans la Bible en version originale hébreu, le verbe « créer » est réservé à Dieu. L'homme « fait », « fabrique », il ne « crée » pas.

Cette idée d'une création du monde et d'un aboutissement du monde (la parousie) est tout à fait singulière par rapport aux philosophes grecs, entre statisme (le monde a toujours été et sera toujours pareil) et cyclisme (l'histoire est faite de cycles éternellement répétés).

Or, toutes les visions statistes ou cycliques supposent nécessairement des sacrifices humains, pour empêcher le monde de s'effondrer ou le cycle de s'arrêter. Ce sont les Aztèques trucidant à la chaine par peur que le soleil arrête de se lever. Il n'y a pas d'exception.

Nous vivons exactement la même chose avec l'absurde et mortifère culte climatique de Gaïa. Pour l'instant, les sacrifices humains consistent à pourrir la vie des gueux avec des obligations, des interdictions et des taxes « climatiques », mais si quelques uns mourraient au passage, ça ne chagrinerait guère les cultistes du climat, qui ne cessent de répéter que « nous sommes trop nombreux sur Terre ». Je suppose que ces très consciencieux écologistes ne s'incluent pas dans le « nous », sinon ils se seraient déjà suicidés.

Quand je vois des crétins qui roulent en enclumes à roulettes électriques, trouvent les éoliennes très bien, font minutieusement leur « bilan carbone » et qui se croient très intelligents, très rationnels et très responsables, ça me fait bien marrer : quiconque a un peu de culture et un peu de recul reconnaît dans l'écologisme le culte primitif de Gaïa et les trouve grotesques (et nocifs). Mais, justement, de culture et de recul, ils n'en ont pas.

Tresmontant est tout à fait à l'aise avec la science actuelle (Big Bang, évolutionnisme, génétique) puisqu'il pense que la Création se fait en continu et que les coups de pouce bénéfiques que les athées appellent le hasard, c'est Dieu.

Un point qui a évolué depuis que Tresmontant écrivait dans les années 70. Aujourd'hui, on ne sait pas faire apparaitre la vie si les constantes de l'univers (constante de gravitation, force faible, force forte, masse de l'électron ...) différent de quelques dixièmes de pour-cents de notre monde. Peut-être est-ce l'insuffisance de nos connaissances. Mais les athées sont obligés de recourir à l'hypothèse (non prouvée) d'une infinité d'univers pour expliquer ce réglage fin qui nous a permis d'exister. Tresmontant s'en serait réjoui.

Pour Tresmontant, la différence fondamentale entre nous et Saint Augustin, Blaise Pascal, Bossuet ... est que nous savons par les découvertes scientifiques (cosmologie, génétique) que la Création n'est pas achevée, qu'elle est un processus qui continue aujourd'hui.

Corps et âme

La séparation platonicienne du corps et de l'âme est erronée. L'âme est ce qui fait qu'un corps est un corps et non un cadavre, un amas de matière sans vie.

Dans la Bible, cette notion de séparation de l'âme et du corps n'existe pas. Depuis que Dieu a donné la vie à Adam, il n'y a pas de corps sans âme.

Cette séparation est gnostique et elle mène à toutes les conneries actuelles (prostitution, tatouages, laideur, dépravation, irréalisme, etc).

Ceci a des conséquences très concrètes : si on peut séparer le corps et l'âme, si le corps n'est qu'une guenille, alors on peut mettre à mort les individus ayant une conscience altérée ou inexistante, plutôt que d'en prendre soin comme c'est en réalité notre devoir. C'est tout le débat autour de l'avortement et de l'euthanasie (dans « euthanasie », il y a « nazi », ce n'est pas qu'un calembour).

Le christianisme est une théorie générale du réel.

Ce que, depuis Descartes et Pascal, nous appelons « foi » au sens de croyance est une erreur gravissime : dans la Bible, le mot hébreu traduit en français par « foi » signifie « connaissance », c'est-à-dire l'exact inverse.

Tresmontant est inflexible. Le christianisme est rationnel, il est possible de démontrer que Dieu existe et que son comportement décrit par le christianisme est le plus rationnel  pour expliquer l'expérience que nous avons du monde. C'est pourquoi, à la suite de Maurice Blondel, il appelle le christianisme « réalisme intégral ».

Ce sujet me tient particulièrement à cœur parce qu'il a des conséquences précises.

Depuis que l'Occident a cessé d'être chrétien, il sombre dans un irréalisme suicidaire : le climat peut et doit être fixé, une femme est un homme comme les autres, un étranger devient un autochtone du fait de poser le pied sur le sol de la patrie, les races n'existent pas, toutes les cultures, toutes les idées, toutes les opinions se valent, on peut changer de sexe, l'endettement n'est pas un problème, deux hommes ou deux femmes peuvent se marier, etc.

Les métaphysiques principales

Ca n'est pas faire injure aux lecteurs de la Voix du Nord de penser qu'ils ont un peu décroché.

Tresmontant pense (il en en a fait un livre intitulé Les métaphysiques principales) que toutes les métaphysiques peuvent se regrouper en 4 catégories :

Le matérialisme

Le monde n'est que matière, le surnaturel n'existe pas, nous n'avons pas d'âme et Dieu non plus n'existe pas. Tout ordre n'est du qu'au hasard.

Problème : le matérialisme est en contradiction avec l'expérience. En effet, puisqu'il n'y a rien en dehors de la matière pour la créer, la matière existe depuis l'éternité et pour l'éternité (tous les philosophes matérialistes en conviennent). Or, le Big Bang et l'expansion de l'univers rendent cette idée très douteuse.

Le monisme acosmique

L'Etre est un et s'instancie dans chaque être particulier. C'est par exemple, le brahmanisme.

Problème : une impossibilité de rendre compte totalement de la diversité des êtres.

Le panthéisme

Comme le matérialisme, tout est dans ce monde ci. Sauf que les choses sont divinisées. Mais toujours le même problème : Aristote pense que le monde est éternel et ne change jamais fondamentalement.

La métaphysique de la Création

C'est notre sujet dans ce billet : l'idée juive reprise par les chrétiens. C'est elle qui justifie l'expression « judéo-christianisme ».

Tous les intellectuels de bas étage (Soral, Hillard, Jovanovic, Durain etc.) qui se moquent de cette expression ont tout lu et rien compris. Rien n'est plus dangereux qu'un crétin besogneux, mieux valent, de très loin, les crétins fainéants.

La métaphysique ne m'intéresse pas

On peut aussi dire « La métaphysique ne m'intéresse pas ». C'est la majorité de la population (« Le drame de l'homme occidental, ce n'est pas qu'il ignore le sens de la vie. C'est qu'il ne se pose même plus la question » Vaclav Havel). Mais ce n'est pas parce que vous refusez de vous poser une question qu'elle cesse de se poser. Autrement dit, être un abruti complet ne fait pas disparaitre les questions que vous êtes incapable de vous poser.

Nos modernes nihilistes prennent le christianisme pour une religion de crédules et de péquenots. Contre-sens absolu : la séduction du christianisme est aussi (pas seulement) intellectuelle. A ses débuts, c'était flagrant.

Saint Ambroise, préfet et gouverneur de Milan, Saint Augustin, un des meilleurs rhéteurs de l'empire, et tant d'autres docteurs de l'Eglise, mangent des Macron, des BHL et des Onfray tous les matins au petit-déjeuner.

Jean-Sol Patre , les philosophes allemands, tout ça ...

Tresmontant fusille tous ces philosophes pour qui il ne s'est rien passé pendant les  2000 ans séparant la mort de Platon de la naissance d'Emmanuel Kant.

Or, pendant ces 2000 ans, il y a eu la philosophie chrétienne qui, contrairement aux lourds systèmes teutons qui vont suivre, s'efforçait de concilier la philosophie et la connaissance du monde (à la lumière de la Bonne Nouvelle, évidemment).

C'est flagrant quand on lit Saint Thomas d'Aquin. Le style est barbant mais il essaie d'être logique, carré, en partant de faits établis.

J'ai bien rigolé en lisant les satyres de la scolastique de Rabelais et de Montaigne, mais ils avaient tort sur le fond.

Antiracisme et antijudaïsme

Tresmontant se dit antiraciste, mais il a une définition très restrictive du racisme, loin de la définition étendue à l'infini utilisée de nos jours. Pour lui, est raciste qui considère que les non-blancs n'appartiennent pas à l'espèce humaine. Il reconnait sans problème qu'il existe des races humaines.

A cette aune, moi aussi, je suis antiraciste.

Tresmontant se moque de l'antijudaïsme (je préfère « judéophobie ») de certains chrétiens. Il ne les traite pas de crétins parce qu'il est poli, mais il dit qu'ils ne comprennent rien à la profonde communauté philosophique, de conception cosmologique et anthropologique, entre juifs et chrétiens.

« La philosophie grecque païenne va s'opposer violemment aux Judéens et aux chrétiens à cause de cela même : ils n'adorent pas pas l'Univers, la Nature divinisée.

Autrement dit, l'exécration que le Peuple hébreu suscite de la part du paganisme, ancien ou contemporain, tient précisément à l'origine du Peuple hébreu et au fait qu'il contient, qu'il porte, une information créatrice nouvelle, qui suscite une réaction d'horreur de la part du vieux paganisme, que l'on retrouve tout entier chez Ernest Renan, chez Nietzsche et bien d'autres.

[...]

Comme le disait un rabbi judéen, autour de l'année 29 de notre ère, à une femme de Samarie : le salut vient des Judéens. Hébreu : Ha-ieschoua min ha-iehoudim.

L'inconvénient d'un tel enseignement, nécessaire pour que les enfants comprennent le fond des choses, c'est qu'il ne serait pas tout à fait laïc. »

La norme, la certitude et la tolérance

Dans une chronique de novembre 1988, il explique que la norme est partout, découle de la nature des choses (un mouton à 4 pattes est normal, un mouton à 5 pattes est anormal). Refuser la norme, contester la notion même, est nihiliste, pathologique.

Il en profite pour glisser un mot sur la prévention du SIDA qui ne laisse aucun doute qu'il considère qu'il y a des pratiques sexuelles normales et des pratiques sexuelles anormales.

Il n'aurait pas été surpris par nos délires woke et transgenre, puisqu'ils découlent mécaniquement des errements philosophiques qu'il dénonçait déjà.

Tresmontant n'est pas pas du tout un relativiste. Toutes les opinions ne se valent pas, la Vérité existe et, non, nous ne vivons pas dans un monde d'incertitude totale.

Il se moque des philosophes à la Sartre Beauvoir. Pour lui, « On ne nait pas femme, on le devient » est un sommet de crétinisme.

La mort

Tresmontant ne s'aventure pas trop sur ce terrain.

Contrairement aux matérialistes, il pense que la mort n'est pas la fin de tout, mais il ne va guère plus loin.

Il a bien raison, parce que les paroles du Christ sur la mort et la vie après la mort sont les plus mystérieuses.

La crise (intellectuelle) de l'Eglise

Si Tresmontant erre à propos de l'esprit Vatican 2, il a bien compris un point important.

La crise de l'Eglise a de nombreux aspects, dont une faute intellectuelle.

Présenter la Foi comme un saut dans l'inconnu totalement irrationnel (position, en pratique, dans la pastorale contemporaine) est faux, et contre-productif face à des populations très rationalistes.

Au contraire, comme déjà évoqué, il est rationnel de croire le message chrétien. Les Pères et les Docteurs de l'Eglise ont toujours insisté sur ce point, même les mystiques. Saint Thomas d'Aquin y a consacré sa vie. Tresmontant aimerait que l'Eglise retrouvât ce chemin de la raison.

Bien sûr, à la fin des fins, la Foi ne vient qu'avec la Grâce. Mais pas en opposition de la raison, en complément.

Je suis d'accord avec lui : je suis toujours irrité par les effusions creuses à la mode.

Tout est simple.

Soit le monde est éternel, il n’a pas été créé, il est Dieu et il faut lui faire des sacrifices humains. C’est ce qui se dissimule derrière les mots bateaux « néo-paganisme » ou « écologisme ». C’est la position commune d’Alain de Benoist, de François Bousquet, de Marine Tondelier, de Sandrine Rousseau, des philosophes grecs, des communistes et des nazis.

Seul petit, minuscule, problème : cette position est infirmée par la cosmologie, le Big Bang et compagnie. 

Sur les intertubes, traine souvent la question « Nos ancêtres les Gaulois pratiquaient-ils les sacrifices humains ? ». Je n'ai pas besoin de preuves archéologiques (qui, de toute façon, vont plutôt dans mon sens), je sais que oui, puisqu'ils étaient païens.

Soit le monde a été créé, il a commencé un jour, il n’est pas Dieu, il n’y a pas besoin de lui faire de sacrifices humains. C’est la position commune des juifs et des chrétiens.

Et la cosmologie va dans ce sens.

A la lumière de ce choix fondamental s’éclaire la phrase de Tresmontant que je cite souvent :

« Toutes les grandes catastrophes humaines commencent par une catastrophe dans l’ordre de la pensée. »

Et cette catastrophe dans l'ordre de la pensée, nous sommes en train de la vivre, en conséquence de la déchristianisation. Je redoute la catastrophe humaine qui vient (déjà bien démarrée).

samedi, février 15, 2025

De Gaulle: L'or, le dollar et la France (1940-1970) (Gilles Ragache)

Quelques notes jetées à la va-vite :

> entre 1940 et 1945, la guerre pour l'or français (réfugié en Martinique) et contre la dictature américaine du dollar a été rude, mais, grâce à sa formidable intuition qui lui faisait deviner les manœuvres de ses ennemis et à l'appui des opinions publiques, De Gaulle l'a plutôt remportée.

> en 1948, De Gaulle a envisagé de mettre au programme du RPF la « dénationalisation » de Renault. Il n’est pas l’étatiste forcené dont nos communistes de gouvernement se réclament.

> les questions économiques occupent la moitié des ordres du jour des conseil des ministres entre 1958 et 1969. Il est absolument faux de dire que De Gaulle se désintéressait de l’ « intendance ». Une des leçons qu’il tire de la défaite de 1940 est que la France doit être une puissance industrielle pour assurer sa défense.

> en 1962, la France a remboursé toutes ses dettes extérieures.

> De Gaulle est très réticent aux avances de la Banque de France parce qu’elles sont inflationnistes et que l’inflation rend vulnérable à la spéculation contre le Franc (autant pour les crétins qui pestent contre « la loi de 73 » ).

> De Gaulle a bien compris que les accords de Bretton Woods sont bancals (pour financer leur guerre au Vietnam, les Américains sont obligés de saboter leur monnaie, donc le système monétaire mondial) et mène une guérilla contre le dollar, notamment en demandant à la Banque de France d’exiger que les Américains nous remboursent une partie de nos dollars en or.

> début 1968, la France est en passe de monter une coalition européenne contre la dictature du dollar, puis arrivent les événements de mai (bien sûr, ça n’a aucune rapport, n’est-ce pas ?).

> en novembre 1968, De Gaulle joue un bon tour aux spéculateurs.

Le ministre allemand des finances se réjouit bruyamment de la dévaluation du Franc qu'il croit proche. C'est à la fois une faute de goût, une faute politique et une faute psychologique.

De Gaulle lance une rumeur que la décision de dévaluation est prise (notre ministre des finances de l’époque témoigne que cette rumeur est une demande personnelle de De Gaulle) et annonce à l’issue du conseil des ministres deux jours plus tard qu’il n’y aura pas de dévaluation. Jeu, set et match. L'imMonde qui avait fait sa manchette sur la dévaluation est piégé, comme les spéculateurs, Viansson-Ponté, son directeur, commente : « Le Vieux a encore de la ressource ». Ses ennemis, beaux joueurs, applaudissent le coup de maitre (ils savent que le règne du souple Pompidou n’est pas loin).

Le jeune ministre du budget, Jacques Chirac, était partisan de la dévaluation.

> Aussitôt au pouvoir, Pompidou s’empresse de lâcher tout ce sur quoi De Gaulle résistait, dont la dévaluation. De Gaulle n’est pas surpris.

Avec le recul, on voit que De Gaulle volait à une tout autre altitude que le très intelligent Pompidou. Mais ce n'était pas tant une question d'intelligence que de psychologie : Pompidou voulait plaire, alors que De Gaulle méprisait les hommes, en particulier « les notoires et les notables », s'en fichait de leur plaire et prenait sans doute quelque plaisir à leur déplaire.

dimanche, décembre 29, 2024

Le blanc soleil des vaincus (D. Venner)

C'est un conseil de lecture de Jean-Yves le Gallou en réaction à la folie furieuse George Floyd. Je ne pouvais pas refuser (très en retard) !

J'aime bien Venner (c'est le moins arriviste de la bande de la Nouvelle Droite), même si je ne partage pas ses idées et si je trouve son suicide sur le maitre-autel de Notre-Dame puéril.

J'avais déjà lu son Gettysburg.

Plus du tiers de l'ouvrage est consacré aux causes de la guerre.

Il s'étend beaucoup sur la cupidité du Nord.

Certaines déclarations complètement immorales paraissent très actuelles. Les robber-barons, les Carnegie, Gould, Morgan et compagnie, font leurs fortunes en spéculant pendant cette terrible guerre. L'un envoie une lettre d'engueulade à un de ses fils qui vient de s'engager en lui expliquant qu'il est idiot, que le patriotisme guerrier, c'est bon pour les naïfs grouillots, que son patriotisme à lui, d'essence supérieure, doit être financier.

Venner rappelle que la condition d'un esclave virginien de 1840 était meilleure que celle d'un ouvrier français ou new-yorkais : le maitre lui devait assistance dans la maladie et dans la vieillesse.

Mais je trouve qu'il n'insiste pas assez sur le point que Tocqueville avait compris dès 1833 : l'esclavage pourrit toute société qui le pratique (Schiavone a des pages remarquables sur ce sujet à propos de l'empire romain). Le fait que presque toutes les sociétés sauf la nôtre l'ont pratiqué n'enlève rien à ce jugement : aucune de ces sociétés ne s'est développée comme la nôtre.

Cette guerre terrible (elle fait plus de morts que toutes les guerres américaines réunies) est étrange : l'intérêt du Nord à empêcher le Sud de faire sécession n'est pas flagrant. S'il n'y avait eu que la Nouvelle-Angleterre, qui a assez peu de relations avec le Sud, celui-ci serait parti vivre sa vie.

Mais les nouveaux Etats de l'ouest, dont vient Abraham Lincoln, vivent beaucoup d'une sorte de commerce triangulaire (pas celui des esclaves) entre le Nord et le Sud.

Les exaltés du Nord prennent le dessus sur les modérés. En novembre 1860, l'élection d'Abraham Lincoln, dont on a de sérieuses raisons de douter de la santé mentale (un article Wikipedia est consacré au sujet), rend la sécession inévitable, puisque le Sud se sent alors dans une position de colonisé par rapport au Nord (toujours la grande question de la légitimité : qu'est-ce qui justifie qu'on impose à des populations des politiques qu'elles refusent ?).

Même après la sécession, la guerre n'est pas inévitable. Des modérés proposent des solutions qui auraient permis aux deux confédérations d'entretenir des relations normales. Mais les fous furieux, en tête desquels Abraham Lincoln, l'emportent.

Des prophètes et des visionnaires ont beau avertir de la catastrophe que sera la guerre, ils ne sont pas écoutés. Au bout de la route, plus de 800 000 morts. Pour quoi ? Pour pas grand-chose. Les Etats-Unis d'aujourd'hui seraient-ils moins puissants sans les Etats du Sud ? Ca n'est même pas sûr. Et les esclaves auraient de toute façon été libérés par la mécanisation, comme le prévoyaient les Sudistes les plus sages. Le seul résultat tangible, c'est la perte de liberté des Etats du Sud, on peut comprendre l'amertume qui persiste jusque de nos jours.

Le Sud ne peut pas gagner la guerre, pour des raisons démographiques, industrielles et économiques, mais aussi pour une raison politique : la sécession se fait sur la question du droit des Etats, les Etats sudistes sont donc constamment jaloux de leurs prérogatives et il est impossible d'aboutir au gouvernement unifié que nécessite pourtant la conduite de la guerre.

Par politique, le Sud choisit la défensive, même avec des actions offensives. Comme le temps joue contre lui, cela le condamne à la défaite. Chacune des victoires du Sud l'affaiblit, chacune des défaites du Nord le renforce. Les sudistes se sont longtemps faits des illusions sur la bataille décisive qui pousserait le Nord à négocier : vu le fanatisme de Lincoln (il a suspendu l'habeas corpus et emprisonné 38 000 opposants politiques), soutenu par les spéculateurs, seul l'écrasement peut être décisif et il est hors de portée du Sud.

La guerre se joue dans les premiers mois : après la première victoire de Bull Run, le Sud renonce à s'emparer de Washington, sa seule vraie occasion de victoire par KO. Ensuite, avec la perte de la Nouvelle-Orléans et des forts Henry et Donelson, le Sud perd le contrôle du Mississippi. La victoire finale n'est plus possible.

Chacune des rares défaites sudistes est catastrophique. Mais la plus grosse perte est au soir de la plus grande victoire, Chancellorsville : le 3 mai 1863, le général Stonewall Jackson est abattu dans la pénombre par méprise, par ses propres sentinelles. Le Sud perd un très grand général. Il avait le coup d'oeil des capitaines de génie, qui arrivent sur le champ de bataille et comprennent aussitôt la situation. Deux mois plus tard, Lee dira qu'il aurait vaincu à Gettysburg s'il avait eu Jackson et il avait sans doute raison. 

Quand on s'intéresse aux opérations, on est abasourdi par le nombre de morts. Il y a eu deux fois plus de morts par maladie que par action directe, l'hygiène déplorable faisait qu'on mourrait beaucoup de blessures infectées. Au total (récemment révisé à la hausse !), on en est à 700 000-800 000 morts militaires. Sans compter énormément de civils.

La « Reconstruction » est d'une férocité barbare. Ce n'est pas par hasard que le massacre des Indiens commence à ce moment là (et si le dernier général sudiste à se rendre est indien).

Certains, comme Huntington, prévoient une nouvelle guerre de sécession dans les décennies qui viennent. Avec la Californie.

jeudi, décembre 19, 2024

L'été 14 (Adolphe Messimy)

Adolphe Messimy est un saint-cyrien républicain, qui a démissionné de l'armée suite à l'affaire Dreyfus pour s'engager en politique.

Ministre de la guerre (à l'époque, on ne tourne pas autour du pot avec les titres ministériels) en 1911, puis du 13 juin au 27 août 1914. Après quoi, il passe la guerre au front (un ex-ministre en première ligne, ce n'est pas tous les jours. Chez les Anglais, il y eut Churchill).

C'est lui qui, en 1911, nomme Joffre généralissime. Il s'en mordra les doigts dans les tranchées (là encore, c'est rarissime qu'un ministre subisse directement les conséquences de ses décisions). Il a aussi essayé, sans succès, contrecarré par la collusion des industriels et des services de l'armée, de pousser l'artillerie lourde. La pénurie d'appuis lourds sera un drame de l'armée française jusqu'en 1916.

Ses carnets de l'été 1914 ont été publiés après sa mort, mais il en avait préparé l'édition.

Ils sont très intéressants.

La tension de cet été maudit est palpable, insupportable. Messimy est un colérique, instable. En conseil des ministres, il tente d'étrangler son collègue de la Marine (vous imaginez la scène !). Il indispose. Au moins, Messimy a, plus que ses collègues, conscience de la précarité de la situation de l'armée française.

Rappel, la journée la plus meurtrière de l'histoire de l'armée française, le 22 août 1914, 27 000 morts :

22 août 1914 (JM Steg)

Il prend deux bonnes décisions, une excellente et une très mauvaise.

Les deux bonnes décisions :

> pousser les Russes à l'offensive immédiate dès fin juillet (sans cela, pas de victoire de la Marne).

> ordonner, contrairement aux plans, le transfert immédiat des divisions marocaines, elles arriveront juste à temps pour la Marne.

L'excellente :

> virer le général Michel et nommer Gallieni gouverneur militaire de Paris, en brusquant les procédures du temps de paix. Gallieni est un militaire comme on les voudrait tous : décidé, imaginatif, pertinent. Début août, il a imaginé que les Allemands traverseraient la Belgique par Liège et seraient début septembre devant Paris. Il en a discuté avec Messimy. Les événements confirment qu'il est l'homme de la situation.

A noter : en 1913, avait eu lieu un exercice sur table. Gallieni commandait les armées allemandes ! La conclusion était claire. Les armées françaises devaient adopter une stratégie défensive, pour empêcher les armées ennemies, plus nombreuses, de profiter des mouvements pour se déployer et nous déborder. Comme quoi, le désastre d'août n'avait rien d'un coup du sort imprévisible. La seule surprise (de taille) de ce début de guerre est la mobilisation des réserves allemandes, qui renforce l'argument en faveur de la posture défensive. Joffre était un âne (mais il a bien préparé la mobilisation, c'était le genre de travail bureaucratique adapté à ses capacités limitées).

Pendant ce temps, Lanrezac sauve l'armée française de l'encerclement après le désastre de Charleroi (21-23 août) en ordonnant le repli général (en désobéissance des ordres du GQG), puis s'effondre, à bout de nerfs.

La très mauvaise :

> soucieux de ne pas reproduire les fautes de l'impératrice Eugénie s'immisçant dans les opérations militaires, Messimy laisse la bride sur le cou à Joffre, qui est un butor sans imagination et sans honnêteté, qui rejette ses fautes sur ses subordonnés et n'hésite pas à falsifier ou à « perdre » des documents pour aménager sa gloire. Son attitude vis-à-vis de son ancien chef Gallieni (qui a tort d'avoir raison) est indigne.

Situation totalement folle, le GQG de Vitry tient le gouvernement, y compris le ministre de la guerre, dans l'ignorance totale des défaites françaises, que les ministres apprennent par la presse anglaise et la presse suisse, non censurées, et par les préfets, qui signalent l'avance de l'ennemi. Cela aurait du valoir à Joffre d'être fusillé avant la fin de 1914, une fois le danger imminent passé.

Et le débat avec Gallieni n'est guère mieux : Joffre veut une contre-attaque de face, front à front. Gallieni estime que les troupes sont trop épuisées et qu'elles se feront hacher. Il préfère une attaque de flanc. C'est évidemment lui qui a raison.

Le seul ordre direct que Messimy donne à Joffre est de fournir des troupes à Gallieni. Ordre salvateur. Quel dommage que le duo Messimy-Gallieni, qui avait une vision bien plus correcte de la situation, n'ait pas plus pesé.

Le gouvernement va trainer Joffre comme un boulet jusqu'à la fin de 1916, sans oser reprendre la main.

Les munitions

Et puis, il y a, dès août, la crise des munitions : l'état-major avait prévu de consommer 8 000 obus de 75 par jour, la consommation réelle est de 100 000 (et deux ans plus tard, 1 000 000 !). Messimy secoue les industriels et apprend que les composés chimiques pour fabriquer la mélinite venaient ... d'Allemagne !

Les solliciteurs

Le 23 août 1914, la situation des armées françaises est dramatique. Le GQG fait le black out mais les rapports des préfets ne laissent aucun doute sur la débandade des troupes et sur l'avancée de l'ennemi.

Le président du conseil René Viviani sollicite un entretien urgent au ministre de la guerre.

M. Viviani a une maitresse, cette dame a un mari mobilisé et ce monsieur n'aime pas l'ambiance de la chambrée, il préférerait coucher chez lui tous les soirs. Messimy a déjà dit non plusieurs fois à ce passe-droit. C'est pourquoi Viviani revient à la charge. On sent que, vingt ans après, Messimy reste saisi par l'incongruité de la démarche en de telles circonstances. Bien sûr, il refuse.

Il refuse d'ailleurs toutes les demandes de ce genre (il en a une liste longue comme le bras), inflexibilité qui lui fait beaucoup d'ennemis puissants.

Un solliciteur est plus malin que les autres. Devant le refus du ministre, il s'adresse à ses subordonnés (bien entendu, sans préciser que le ministre vient de refuser).

La faute

Messimy commet la faute, à la fois faute de goût et faute politique, de provoquer la « polémique du XVème corps ». Sur la foi de rapports erronés, il accuse, par l'intermédiaire d'un journaliste ami, les méridionaux doivent eu des « défaillances ». Tollé justifié. Au moment où s'engage une bataille dont dépend le salut du pays, c'est vraiment mal venu d'accuser une partie de la population. Messimy « saute ».

La pratique de Joffre de rejeter l'effet de ses propres erreurs sur les « défaillances » de la troupe est absolument ignoble quand on connait les trésors d'héroïsme des soldats français, bien révélatrice de ce petit personnage, pas à la hauteur des hommes qu'il commande.

En réalité, Messimy paye la catastrophe du mois d'août 14 (et encore : les politiciens ne connaissent pas l'ampleur des pertes, que le GQG leur cache soigneusement, ils ne comprendront vraiment, épouvantés, que début 1915. Tout de même, ils se doutent que ça ne va pas bien.) et sa droiture.

Son successeur Millerand aura la responsabilité des catastrophes joffristes et Messimy dit qu'il en est soulagé. Il finira la guerre général de division.

La nomination de Joffre et les drames qui en découlent ne sont pas des accidents mais le résultat logique du manque de légitimité de la raie-publique. Elle se sent si peu sûre de son bon droit qu'elle préfère nommer un crétin dont elle n'a rien à craindre (sauf la défaite).

Compléments :

Les carnets de Gallieni

vendredi, novembre 15, 2024

Charles de Gaulle : L'angoisse et la grandeur (Arnaud Teyssier)

L’intérêt de celle d’Arnaud Teyssier, c’est qu’il a compris que de Gaulle avait un côté poétique, un peu fou, et que ça faisait sa singularité.

L'énigme des anti-gaullistes

Les anti-gaullistes (il en reste beaucoup) sont des crétins. Mais pourquoi ?

Je mets à part les nostalgiques de l’Algérie française incapables de surmonter leur sentimentalisme.

Pour moi, c’était simple. Pétain avait exposé une vision politique dans son discours du 17 juin 1940, de Gaulle avait exposé une vision opposée dans son appel du 18 juin 1940. La suite avait donné tort à Pétain et raison à de Gaulle, point par point. Pétain et les anti-gaullistes avaient tort, de Gaulle et les gaullistes avaient raison. Affaire réglée.

Alors pourquoi cette persistance des anti-gaullistes ? Je pense que c’est le côté poétique, fou, qui irrite. Les anti-gaullistes prennent cela pour du mensonge, ce n’est pas totalement faux. C’est pourquoi ils traquent minutieusement ce qu’ils considèrent comme les mensonges gaulliens, sans comprendre que l’esprit est juste (la France a été militairement écrasée en 1940 mais c’était faux de croire cet état définitif. Donner aux Français des raisons de croire en eux-mêmes, à la France une motivation pour se redresser).

Les anti-gaullistes reprochent à de Gaulle de se prendre pour Jeanne d’Arc alors que les gaullistes s’en félicitent. Quand les anti-gaullistes sont catholiques, ils sont doublement crétins : ne pas croire aux miracles, rejeter notre dirigeant le plus catholique depuis Louis XVI.

En fait, l'anti-gaulliste est incapable d'élévation, est irrité par Don Quichotte. Bref, on y revient, c'est un crétin. L'anti-gaulliste aurait trouvé en 1429 que Jeanne d'Arc en faisait trop et qu'il valait mieux se débarrasser de cette bergère surexcitée et s'arranger avec les Anglais.

Quand à la prétention des anti-gaullistes à la vérité, c'est toujours le même cinéma. Dès qu'on leur met le nez dans leur caca, ils se braquent. J'ai démonté récemment sur Touiteur  la légende noire de « de Gaulle, sous-marin des communistes » auprès d'un anti-gaulliste : il m'a bloqué. Les anti-gaullistes sont largement irrationnels, leur refus de l'élévation est psychologique, mais ce n'est pas à moi de les psychanalyser.

Bref, au fond, l'anti-gaulliste prend le gaullisme pour un reproche personnel. Est-ce justifié ? Je ne sais pas, je ne sonde pas les reins et les cœurs.

Folie et raison

Comme Teyssier a bien compris que, dans les moments tragiques de l'histoire, la folie à court terme (partir tout seul à Londres) est la raison à long terme (parier sur une guerre mondiale), son de Gaulle se tient bien.

Un militaire anti-militariste

C'est un point qui m'amuse beaucoup. Teyssier n'y insiste pas. De Gaulle était un militaire antimilitariste. Il voyait l'armée comme une grande chose mais ne débordait pas d'estime pour  les militaires.

On connait dans Le fil de l'épée « Parfois, les militaires, s’exagérant l’impuissance relative de l’intelligence, négligent de s’en servir. » Ou, lors du putsch d'Alger « Vous ne les connaissez pas, ce sont des militaires, ils vont s'embrouiller » (ce n'était pas mal vu).

Il faut dire que, quand on a affaire à des ânes bâtés comme  Gamelin, Weygand, Giraud, ça n'incite pas à l'estime. Et puis, les militaires sont par nature étroits d'esprit (la largeur d'esprit est la porte ouverte à l'indiscipline, De Gaulle en étant lui-même un exemple). Tous les militaires ne sont pas Lyautey. 

Le CNR expliqué

Certains croient encore que de Gaulle était juste un ambitieux voulant le pouvoir. C'est un manque de discernement peu commun : dans ce cas, de Gaulle aurait couru à Vichy, comme tant d'autres, et non à Londres.

Teyssier fournit l'explication la plus claire du Conseil National de la Résistance que j'ai lue.

La création du Conseil National de Résistance (CNR) s'inscrit dans  l'obsession gaulliste depuis juin 1940 (sûrement un peu avant le 18 d'ailleurs) : rétablir l'Etat pour rétablir la souveraineté de la France.

De Gaulle a donc besoin qu'à la Libération, il y ait une parfaite continuité de l'Etat, afin que personne (Américains, communistes, vichystes repentis -Laval avait des idées en ce sens, Herriot aussi, ...) ne puisse profiter de ruptures dans le service pour brader la souveraineté française.

A l'extérieur, cette fonction est remplie par le Comité Français de Libération Nationale (CFLN) algérois, qui deviendra juste avant le débarquement le Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF).

Mais, Alger, c'est de l'autre côté de la Méditerranée (si, si).

De Gaulle a besoin d'un pendant en métropole. C'est le CNR. Pour assurer, cette continuité de l'Etat non-partisane, il faut inclure large, d'où les communistes (ce que ce des crétins ne comprennent toujours pas) et les anciens partis (Pierre Brossolette ne l'a pas compris). Seuls exclus : le PSF (les Croix de Feu), et encore, après débat.

Jean-François Revel, jeune courrier de la Résistance (et futur pédophile, mais c'est une autre histoire), s'est plaint de trimballer à ses risques et périls des documents abscons sur des études fumeuses. Mais c'est dans la culture étatique d'aimer le papier et les études fumeuses.

Teyssier a bien compris que les anti-gaullistes de cette époque ont la nostalgie de la IIIème république et se défie du pouvoir exécutif, comme si la défaite n'avait pas été causée par l'impéritie du régime, ce qui témoigne chez ces gens très « intelligents » d'une singulière cécité.

Il estime que les anti-gaullistes sont tout simplement des conservateurs au sens péjoratif, qui ont horreur du changement et veulent conserver à tout prix leur position dominante. Comme la bourgeoisie est la classe bavarde, ils habillent leur égoïsme d'une logorrhée de « bonnes » raisons. Un Michel de Jaeghere (du Figaro) en est aujourd'hui un parfait exemple.

Teyssier, en s'appuyant sur la correspondance de Morand et de Chardonne, tous deux anti-gaullistes virulents, rend son verdict : au fond, ce que les anti-gaullistes détestent, c'est le pouvoir politique. Ils préfèrent toujours Retz, qui a écrit des mémoires superbes mais a échoué dans tout ce qu'il a fait, à Mazarin et à Richelieu.

Mitterrand a détruit la Vème république pour la même raison. Et la tantouse perverse Macron n'est pas autre chose : ce vrai psychopathe aime le pouvoir personnel et sadique, le pouvoir d'arracher les ailes des mouches et de faire souffrir les Français, mais le pouvoir politique, il s'en abstient complètement, il s'en débarrasse, il le délègue à von der Leyen, à Bruxelles, à Berlin, à Washington, à Doha, à la terre entière, mais il ne s'en empare surtout pas.

Le comportement de Jean Moulin est remarquable en sens inverse : il a tout de suite compris l'essence du gaullisme, ce qui est très étonnant chez ce préfet du Front Populaire (mais le gaullisme ne sortait pas de nulle part, il est issu de réflexions des années 30 que Jean Moulin connaissait). Les crétins anti-gaullistes (c'est le fil rouge de cette recension !) expliquent cela par le fait que Moulin aurait été agent soviétique, pure calomnie (ces gens sont décidément très bêtes, emportés par leur passion fausse) que rien n'a jamais confirmée (ni dans ses décisions, ni dans les archives soviétiques).

De Gaulle est un étatiste qui vit dans l'angoisse d'une défaillance de l'Etat. Il est étatiste non en théorie mais par réalisme pour la France : il considère que les Français ont une longue habitude de se reposer sur l'Etat, qui remonte à des siècles et qu'il est idiot de faire comme si ça n'existait pas.

Burnham

James Burnham est connu pour avoir théorisé dans les années 30 que les citoyens et les actionnaires seraient dépossédés de leur pouvoir et soumis à des technocrates-techniciens, les managers, aussi bien dans les démocraties que dans les pays totalitaires.

En 1943, comme Walter Lippmann 20 ans avant, il a écrit un livre The machiavellians, pour dire que les apparences de la démocratie devait être sauvegardées, mais seulement les apparences.

Il était aussi un agent de la CIA, qui a écrit une note sur le RPF (Rassemblement Pour la République), le parti gaulliste. Il a même publié un livre d'entretiens sur de Gaulle avec Malraux en 1948, The case for de Gaulle.

Et, en contrepartie, ou en parallèle, il écrit quelques articles pour la revue du parti. Il est très probable que de Gaulle les a lus.

En conséquence, De Gaulle est probablement très conscient des dangers de dérive bureaucratique anti-politique de l'Etat moderne.

La pratique du pouvoir (chrétienne)

La pratique du pouvoir gaullienne est aux antipodes de celle des minus comme Sarkozy ou Macron. Il délègue beaucoup, peut-être trop, et tranche quand l'essentiel est en jeu.

Sans doute, par exemple, a-t-il regretté d'avoir trop délégué les questions éducatives.

On en revient à la conception du pouvoir : les successeurs de de Gaulle depuis Giscard cherchent tous dans le pouvoir une flatterie de leur ego problématique, et non un service.

Or, la conception chrétienne du pouvoir comme service, et même comme sacrifice, est la seule vraiment féconde (elle est l'un des facteurs qui expliquent que le développement se soit produit chez nous et pas ailleurs).

On a un enregistrement de De Gaulle discutant avec ses subordonnés, ce n'est du tout « starteup nèchione ».

Le révolutionnaire De Gaulle

Teyssier a bien compris la nature révolutionnaire du gaullisme par rapport à ce qui se pratiquait depuis la chute du second empire, c'est-à-dire un régime bourgeois faussement démocratique (« La démocratie, c’est ce régime où les démocrates décident qui a le droit d'être élu » Charles Maurras).

J'ai déjà traité de ces aspects dans deux billets (et, en plus, deux livres de Teyssier) :

De Gaulle 1969. L'autre révolution (A. Teyssier)

Deux tiers des articles de la constitution ont été révisés, avec des conséquences très lourdes, plus diverses décisions gravissimes, absolument contraires à la volonté gaullienne, du conseil d'Etat et du conseil constitutionnel. Il est donc de mauvaise foi d'accuser De Gaulle d'avoir fait une mauvaise constitution en jugeant son fonctionnement actuel.

Le côté révolutionnaire d'un exécutif fort en prise direct avec le peuple a été totalement effacé par les petits hommes gris. Le régime des partis a reparu pire que jamais.


Par rapport à De Gaulle, Pompidou était dépourvu d'intuition. Ce qui fait que les textes du « vieux » De Gaulle paraissent plus actuels que ceux du « jeune » Pompidou.

Mai 68, c'est la victoire de la bourgeoisie sur le peuple. Certains l'ont compris immédiatement ("Je vous hais chers étudiants" : quand Pasolini fustigeait Mai-68).




dimanche, novembre 03, 2024

The second world wars (Victor Davis Hanson)

J'avais assez peu apprécié son précédent ouvrage, décousu, sur la guerre du Péloponnèse.

Victor Davis Hanson reprend le même procédé, mêlant chronologie et thématique, mais, pour une période que je maitrise, cela me gêne beaucoup moins.

Le pluriel du titre est une coquetterie superflue.

Il commence par quelques remarques de recadrage, comme de constater que les pays de l'Axe ont tué très majoritairement des civils et les Alliés des militaires, ou que les pays de l'Axe n'ont jamais été préparés, ni militairement ni économiquement, à une guerre mondiale.

Victoire impossible

La victoire de l'Axe dans une guerre mondiale était impossible.

Au mieux du mieux, l'Axe pouvait espérer une paix de lassitude qui fige les positions.

Hitler a signé le pacte germano-soviétique en 1939 pour cette raison (éviter l'embrasement généralisé) et il a persisté à espérer une paix blanche avec la Grande-Bretagne.

Barbarossa, l'attaque du 22 juin 1941, était un coup de dés, provoqué par la résistance churchillienne.

L'idée étant que, privée de l'allié potentiel soviétique, la Grande-Bretagne reviendrait à la « raison ». 

Churchill a donné des signes de faiblesse exagérés pour inciter Hitler à cette attaque suicidaire (l'Anglois est fourbe. La vraie faiblesse politique de Churchill viendra après la chute de Singapour).

Si les généraux allemands se sont fait beaucoup d'illusions (contrairement à ce qu'ils ont raconté après guerre), cela n'a pas été le cas d'Hitler si on décrypte ses propos toujours tordus.

En revanche, côté japonais, c'est la folie complète.

Les Japonais ont commis trois énormes bourdes, dont chacune était susceptible de leur faire perdre la guerre :

1) maintenir le gros des forces terrestres en Chine pour un gain nul.

2) Appuyer très (trop) mollement l'attaque allemande contre l'URSS.

3) Et la boulette de chez boulette, attaquer les Etats-Unis par surprise.

Un pays souffre énormément quand il a un gouvernement dysfonctionnel comme celui du Japon. Les rivalités Marine-Armée de Terre sans arbitre ont été une calamité.

L'Allemagne seule coupable

Hanson  est sans ambiguïté, c'est bien de ne pas tortiller du cul. La seconde guerre mondiale a plusieurs responsables (les Etats-Unis, la Grande-Bretagne) mais un seul coupable : l'Allemagne. Analyse que je partage entièrement.

Dans les guerres, le belligérant le plus faible se raconte des histoires, sinon il essaierait à toute force d'éviter cette guerre qu'il va perdre. Bien sûr, ce n'était pas évident au départ que les Grecs allaient vaincre les Perses ou que Sparte l'emporterait sur Athènes. Mais c'est le Sud qui a déclenché la guerre civile américaine alors qu'il n'a jamais eu la moindre chance de l'emporter. Et les probabilités étaient du côté de Rome et non de Carthage.

Tous les prétextes invoqués pour justifier la seconde guerre mondiale sont fantasmatiques. L'Allemagne (le Japon) vaincue d'après guerre n'a pas eu besoin des territoires de l'est (des ressources asiatiques) pour augmenter sa production agricole (industrielle), sa richesse et sa population.

Toutes les histoires d'« espace vital » et de « sphère de co-prospérité asiatique » étaient purs délires.

Avant de nous moquer de ces délires collectifs allemand et japonais,  rappelons nous que nous avons naguère participé à fond les ballons à un délire totalitaire (presque) planétaire par peur d'un rhume.

Un hommage appuyé à la Grande-Bretagne

Hanson rend un hommage appuyé à la Grande-Bretagne (plus qu'aux Etats-Unis), seul pays présent sur tous les théâtres d'opération du premier au dernier jour de la guerre (on pourrait nommer la France en tirant par les cheveux la France Libre) et le belligérant qui avait le moins à y gagner.

Il cite Britain's war machine, de David Edgerton. Je vous en ai fait la recension, je ne vais pas me répéter.

Hanson fait remarquer qu'on néglige une des contributions les importantes de la Grande-Bretagne à la victoire. Quand l'Allemagne attaqua l'URSS en 1941, la Luftwaffe n'était pas complètement remise de ses pertes de la Bataille d'Angleterre.

En effet, il y eut un pacte tacite entre Hitler et les Allemands jusqu'en 1943 (février 1943, discours de Goebbels sur « la guerre totale ») : L'Allemagne était le pays d'Europe où il faisait le meilleur vivre (si on n'était ni juif ni déporté), les Allemands travaillaient et se rationnaient moins que les Anglais.

Air

Les belligérants ont construit 800 000 avions, dont la moitié a été perdue, au combat ou par accidents.

Le Bomber Command seulement (pas toute la RAF), c'est plus d'un million d'hommes. Il y a dix « rampants » par aviateur. Une Forteresse Volante avec dix aviateurs, c'est donc cent « rampants ». Le Bomber Command a un taux de pertes colossal : 55 000 morts pour 125 000 aviateurs (certains pensent que cette perte de l'élite de jeunesse britannique a compté dans les mauvais choix, socialistes, d'après-guerre).

En 1945, les raids à 600 avions étaient courants, tant contre le Japon que contre l'Allemagne. Imaginez : vous êtes allemand et vous voyez passer des dizaines de « boxes » de B17 et de B24 au moins une fois par semaine (presque tous les jours si vous êtes à Berlin). Et la nuit, c'est la RAF.



L'Allemagne a produit des millions de canons et des milliers d'avions pour s'y opposer, en vain.

Le jeu en valait-il la chandelle ?

Les pertes catastrophiques du Bomber Command (bombardement de nuit, britannique) et de la 8ème Air Force (bombardement de jour, américaine) en 1942 et 1943 étaient insensées au plein sens du terme, elles n'avaient pas de sens, elles n'avançaient pas la victoire alliée d'un seul jour. Elles étaient entièrement dues à des rivalités de services : ne pas désavouer la doctrine du bombardement stratégique érigée en dogme, ne pas perdre des crédits et des positions de pouvoir.

En revanche, à partir de l'arrivée fin 1943 des chasseurs d'escorte à long rayon d'action, ça change. Les bombardements avaient toujours une efficacité discutable, mais les pertes diminuaient et la Luftwaffe, obligée de monter défendre ses villes, était étrillée.

Au printemps 1944, les Alliés avaient la suprématie aérienne absolue. L'attaque systématique des voies de communication et, surtout, des raffineries, donnait, enfin, enfin, des résultats militaires tangibles.

Des choix désespérés

Avec les ressources englouties dans les quelques milliers d'engins V1 et V2 totalement inefficaces, les Allemands auraient pu construire 24 000 avions, c'est-à-dire doubler leur production de 19444, mais ils n'auraient pas eu les pilotes et le pétrole pour les utiliser.

A la fin de la guerre, les écoles alliées brevetaient 10 fois plus de pilotes que l'Axe, et mieux formés.

Les kamikazes ont été bien plus efficaces que les armes-miracles d'Hitler. Ils ont coulé ou irrémédiablement endommagé 474 navires américains. S'ils avaient été employés dès la batailles de Midway, les Japonais auraient peut-être gagné leur guerre. Mais c'est le paradoxe des kamikazes : cette idée n'a été possible que parce que la situation était désespérée, la guerre déjà perdue.


La moralité des bombardements des villes

Hanson refuse de se prononcer sur la moralité de la politique de bombardement alliée, mais il fait tout de même remarquer que les Allemands et les Japonais ont le plus massacré dans la dernière année de la guerre, quand la défaite était déjà certaine, et que, si ces bombardements ont raccourci la guerre de quelques semaines, ils ont sauvé des milliers de vies de militaires, de prisonniers, de déportés et de civils.

Argument qu'ignorent ceux qui condamnent ces bombardements par anti-américanisme.

Mer

Sur mer, la supériorité des Alliés, en inventaire initial comme en capacité de production, était encore plus écrasante.

Après la désastre français, les Britanniques avaient un plan pour continuer la guerre seuls grâce à la Royal Navy. Quand les Américains entrèrent en guerre, la supériorité alliée redevint insupportable.

De plus, les Alliés faisaient les meilleurs choix de politique d'armement. Les pays de l'Axe n'avaient absolument pas les moyens de cuirassés comme le Bismarck ou le Yamato, très couteux et peu efficaces. Ils auraient mieux fait de construire des sous-marins et des porte-avions.

Les meilleurs porte avions de la guerre et les meilleurs sous-marins étaient américains (classe Essex et classe Gato - deux fois plus gros que les Type VII allemands). Et ils furent mieux utilisés : les commandants avaient la bride sur le cou et étaient audacieux et, contrairement aux Allemands et aux Japonais, les Américains et les Britanniques se coordonnaient.

Surtout, les Américains inventèrent le porte-avions d'escorte, des cargos transformés. Ils en construisirent 124 ! Une idée géniale. Incapables de faire la guerre indépendamment, ils permettaient à tous les convois d'avoir une couverture aérienne.

La révélation de cette guerre fut le destroyer. Couteau suisse, outil à tout faire, assurant une présence sur toutes les mers, 20 fois moins couteux que le cuirassé. Or, les Allemands et les Japonais en manquaient.

Pourtant, la seule occasion de victoire stratégique de l'Axe a été la bataille de l'Atlantique.

Il aurait fallu aux Allemands :

1) des sous-marins adaptés aux rudes conditions de l'Atlantique Nord. Bref, plus gros.

2) Commencer la production en 1938.

En 1942, c'était déjà foutu.

De toute façon, les Alliés réagissaient : meilleurs sonars, meilleurs radars, meilleures charges sous-marines, bombardiers transformés en chasseurs de sous-marins. Les Allemands aimaient bien les innovations spectaculaires (avions à réactions, V1, V2) mais investir dans l'électronique était une meilleure idée.

La Royal Navy a beaucoup souffert, souvent avec des matériels vieillissants et une sous-estimation du danger des avions. Elle a perdu 50 000 hommes (et 102 femmes) mais est restée présente sur toutes les mers du premier au dernier jour.




La marine marchande a aussi beaucoup souffert (voir Convoy). Imaginez vous un marin dans un convoi vers Mourmansk à l'hiver 1942.

Ceux qui ont vraiment morflé, ce sont les sous-mariniers allemands. 28 000 morts, trois quarts de l'effectif ! Seuls les kamikazes sont à ce niveau. A partir de l'inversion du rapport de forces de l'été 1943, la vie des sous-mariniers 1943 devint infernale.

Comme déclarait un amiral anglais du temps de Napoléon devant la chambre des lords : « Mes Seigneurs, je ne dis pas que les Français ne viendront pas. Je dis juste qu'ils ne viendront pas par la mer ».

Terre

Hors URSS, il n'y a jamais eu si peu de fantassins dans les armées :

1)  le traumatisme de la première guerre mondiale.

2) les nouvelles armes (chars, avions) à peupler.

3) Une puissance de feu inédite. Des rigolos se sont demandés comment se comporterait une section d'infanterie française de 2010 face à une section d'infanterie allemande de 1944 équipée de 2 MG42. Sans appui aérien, ce sont les Teutons qui gagnent.

Hanson fait remarquer que la supériorité de l'infanterie allemande va de pair avec l'infériorité allemande en aviation, marine et logistique. Que valait-il mieux pour gagner la seconde guerre mondiale ? Une infanterie ou une aviation, une marine et une logistique ?

90 % de l'armée allemande se déplaçait encore à pied et à cheval.

Comme l'excellent Big Serge, Hanson ne partage pas l'admiration de rigueur pour les généraux allemands, les von Manstein, Model et compagnie. D'accord, les généraux allemands étaient très bons tacticiens, parfois brillantissimes, mais pour quels résultats stratégiques ?

Et ça remonte à loin, facile de tout mettre sur le dos d'Hitler, qui a eu le bon goût de se suicider, mais, à la guerre précédente, Ludendorff disait déjà que la tactique était tout et que la stratégie ne comptait pas.

En janvier 1942 (échec allemand devant Moscou, échec japonais à détruire les porte-avions américains à Pearl Harbour), il était clair que l'Axe était acculé à la défaite à l'horizon de 3 à 4 ans (beaucoup de planificateurs alliés voyaient la fin de la guerre en 1946). Quel général allemand en a tiré les conséquences ? Ou, même simplement, a vu ce fait, qui était évident pour les chefs alliés ?

J'ai une conviction très minoritaire (mais ça ne me dérange pas : la majorité a le plus souvent tort) : vu l'ampleur des crimes commis, l'Allemagne aurait du disparaitre définitivement en 1945. Elle a été divisée en deux et la Prusse supprimée, c'était très insuffisant. C'est en douze ou en vingt qu'elle aurait du être divisée. Je connais des Bavarois qui n'auraient pas du tout été fâchés que leur pays retrouve son antique indépendance.

Vous remarquez que la France s'entendait plutôt bien avec l'Allemagne divisée. Nous avons une vocation à cohabiter avec l'Allemagne rhénane que nous n'avons pas avec l'Allemagne hanséatique ou teutonique.

Italie

Que les Alliés sont-ils allés faire dans cette galère ? Une fois la Sicile capturée comme base aérienne, où était l'intérêt de débarquer en Italie ? Probablement la plus grande erreur stratégique des Alliés à l'ouest.

France, Allemagne

Remarquable débarquement en Normandie. Spectaculaire offensive motorisée de juillet à septembre 1944.

Sinon, pas très flatteur : deux mois bloqués en dans le bocage, non-fermeture de poche de Falaise, opération Market-Garden foireuse, port d'Anvers libéré tardivement, bataille inutile et très couteuse de la forêt d'Hürtgen, difficulté à tirer tous les avantages de l'offensive ratée des Ardennes ... La somme de tout cela, c'est que la guerre a trainé six mois de trop, avec un nombre important de victimes innocentes dans les camps.

Bref, un bilan mitigé. C'est assez facile à expliquer : les armées de l'ouest étaient très efficaces mais assez mal commandées. J'en ai déjà parlé.

L'opération Bagration, qui se déroulait à l'est au même moment, était plus élaborée, avec une réflexion sur les différentes phases de l'offensive et comment empêcher l'ennemi de se rétablir.

Sièges

Le siège de Leningrad est :

> le plus long de l'histoire de l'humanité, 872 jours

> le plus meurtrier, 1,5 million de morts dont 1 million de morts de faim

> le seul dont le but était d'exterminer les habitants et non de conquérir la ville.

Les sièges acquièrent souvent une importance symbolique et politique supérieure à leur intérêt militaire.

Lors des sièges de Singapour (février 1942) et de Tobrouk (juin 1942), l'armée britannique est si lamentable, rendant les armes sans combattre, que Churchill se prend une motion de censure.

Mais cela compte peu finalement : l'Axe a choisi les mauvais sièges. L'Allemagne aurait du prendre Gibraltar et Malte plutôt que la Crète et Tobrouk, Moscou plutôt que Stalingrad. La Japon aurait du prendre Pearl Harbour plutôt que Singapour.

Tanks

Eisenhower disait : « Les amateurs discutent stratégie, les professionnels discutent logistique ».

Hanson insiste sur le fait que le Sherman était 3 à 4 fois plus disponible que le Tigre et plus facile à transporter (très important, vu les distances à parcourir). Au total, à productions égales (et elles étaient loin d'être égales), il y a 6 à 7 fois plus de Sherman sur le champ de bataille que de Tigre.

Là encore, on retrouve l'infériorité matérielle allemande. Notons que les Allemands se sont posé la question de copier le T34, ils auraient sans doute manqué d'aluminium pour le moteur.

En 1940, les chars allemands n'étaient ni les meilleurs ni les plus nombreux, mais les mieux employés. C'est en ce sens que c'est une étrange défaite.

 Dès que la machine se heurte à un ennemi qui n'est pas surpris, elle se grippe. C'est le cas à Koursk en 1943. Il reste l'excellence tactique des officiers allemands, agressifs et entreprenants. Mais pour quel résultat ? L'Allemagne était capable de battre la France seule (1870) mais pas d'affronter une guerre mondiale, ni en 1914, ni en 1939.

Les armées lancées à travers la France à l'été 1944 consommaient 3,5 millions de litres (3 500 m3) d'essence par jour, dont la moitié pour Patton. Cala peut paraitre négligeable (aujourd'hui, en France, on consomme 125 000 m3 par jour) mais cette consommation suppose tout de même une lourde logistique, les armées alliées tombent en panne sèche en septembre, les camions de ravitaillement arrivant au point où ils consomment plus d'essence qu'ils n'en transportent.

Etranglées, les armées allemandes tombent elles aussi en panne sèche (ce qui a permis au musée de Saumur de récupérer quelques blindés).

Mais le plus grand tueur de la guerre reste l'artillerie (la moitié des soldats tués). L'Amérique a produit un milliard d'obus. La Russie aussi.

L'artillerie a permis aux Américains de se sortir de plus d'un faux pas (la contre-offensive allemande à Anzio a été arrêtée comme ça). Ils avaient des moyens de coordination de l'artillerie très avancés pour l'époque. En 1945, ils avaient même les premières fusées de proximité. C'est un point fort des Américains moins sexy que le P51 ou la bombe atomique mais qui a compté aussi.

Les Allemands ont produit des obusiers gigantesques (800 mm) à peu près inutiles et à un coût faramineux. Toujours cette attirance pour le gigantisme pour compenser (bin, non) la moindre capacité de production.

Les dirigeants

Je suis d'accord avec les jugements d'Hanson sur Hitler (des éclairs de génie mais trop brouillon), Churchill (une ténacité exceptionnelle), Staline (psychopathe mais inflexible).

Je diverge à propos de Roosevelt (unificateur des efforts de l'Amérique) : il s'est servi du New Deal et de la guerre pour communiser l'Amérique autant qu'il pouvait. C'est une vraie trahison de long terme.

Les généraux

Si la qualité d'un général se juge à sa capacité à retourner une situation difficile, nous avons : Dowding (c'est bien qu'il soit dans cette liste), Patton (bof),Von Manstein, Slim, Spruance.

Slim est méconnu, c'est bien dommage. Il faut dire qu'il commandait une armée qui se surnommait elle-même « l'armée oubliée ». Partant du principe que les Japonais n'étaient pas plus habitués à la jungle que les Britanniques et qu'il n'y avait aucune raison qu'ils y soient supérieurs, il a entrainé ses troupes à la vie dans la jungle et obtenu des succès en infériorité numérique.

Von Manstein est typique des généraux allemands. La manière dont il retourne l'offensive soviétique après Stalingrad contre elle-même est rien moins que géniale, il passe dans un trou de souris. Mais pour quel résultat stratégique ? La seule option stratégique réaliste, c'était la retraite au moins jusqu'en Pologne et aucun général allemand ne l'a conseillée (ou même évoquée en privé).

Pour Hanson, l'amiral Yamamoto est le plus surévalué : il n'a pas su soit éviter l'attaque de Pearl Harbour, soit aller jusqu'au bout.

Spruance est décrit pendant la bataille de Midway comme « calme, concentré, sachant décider, cependant réceptif aux avis, gardant à l'esprit la représentation de forces largement dispersées, cependant saisissant audacieusement toute opportunité. » C'est autant plus intéressant que, pour une des rares fois de la guerre, les Américains étaient en infériorité numérique.

Hanson fait remarquer que, si les généraux anglo-saxons ne sont pas terribles, les amiraux sont excellents. Et même ces généraux médiocres n'ont commis que peu d'erreurs stratégiques (l'Italie. Hanson ajoute le débarquement de Provence mais je ne suis pas d'accord).

Etrangement, les généraux américains deux et trois étoiles sont bien meilleurs que les quatre et cinq étoiles.

Les travailleurs

L'histoire de la seconde guerre mondiale  serait incomplète sans la production et qui dit dit « industrie des années 40 » dit « Amérique ».

L'Amérique produisit 7 fois plus de pétrole que tous les autres belligérants réunis.  Et les autres chiffres (350 000 avions, 1 million de camions, 35 000 bateaux) sont à peine moins spectaculaires. Les Japonais considèrent comme un exploit d'avoir produit 16 porte-avions pendant la guerre mais l'Amérique en a produit ... 150 !

Cette orgie industrielle est due à trois facteurs :

1) L'Amérique n'était pas physiquement menacée, elle pouvait s'organiser au mieux.

2) Par l'intégration des femmes et des chômeurs de la Grande Dépression, la main d'oeuvre a presque doublé en un an.


(Pour les couillons qui ne l'ont pas reconnue, c'est Marilyn Monroe plus ou moins au travail en 1945.)

3) Un génie industriel, qui a presque entièrement disparu de nos jours. Henry Kaiser fait passer le temps de cycle de production des cargos, les Liberty Ships, de 230 jours à 24 jours (entre autres choses, il remplace le rivetage par la soudure : moins de force physique, donc faisable par des femmes) ! Toutes les  productions de la guerre (armement mais aussi tous les matériels qui vont autour, habillement, logement, logistique, agriculture ...) bénéficièrent de cet extraordinaire bond de productivité, du à la réalisation et à la convergence d'idées et d'inventions latentes dans la crise des années 30.

Certains crétins paranoïaques croient que les Américains ne sont pas allés sur la Lune. Leur délire n'est pas rationnel et aucun argument ne les fera changer d'avis. Mais une des raisons de leur délire est leur ignorance de ce qu'une nation d'ingénieurs peut faire.

Les Lunatiques ne sont pas les seuls à commettre ce genre d'erreur.

On peut soupçonner que Reinhard Gehlen (officier de renseignement, futur chef de l'espionnage ouest-allemand et agent américain) a induit volontairement Hitler en erreur sur les capacités soviétiques par anti-nazisme (ça fait cher pour l'Allemagne, parvenir à la fin du régime nazi à ce prix, mais il faut ce qu'il faut).

Concernant l'Amérique, Hitler s'est bien intoxiqué tout seul. Peut-être que sa connaissance de la première guerre mondiale, où la capacité industrielle américaine n'a pas eu un grand rôle, lui a joué un tour.

Hanson conclut simplement : ceux qui tuaient le plus ont été battus par ceux qui produisaient le plus.

Les morts

Exceptionnellement, les vainqueurs ont eu beaucoup plus de morts que les vaincus. La très grande majorité était civile.

Sur les environ 60 millions de morts (chiffre hallucinant), la moitié sont morts de faim, en Europe de l'est, en Russie, en Chine, en Inde, en Indonésie, dans les camps de prisonniers. On a oublié que 400 000 Grecs sont morts de faim. En France, on a tué Camille Claudel.

Militairement, il y a une équation simple : supériorité aérienne, peu de pertes ; pas de supériorité aérienne, grosses pertes. A l'été 44, les soldats allemands ne pouvaient plus bouger une oreille sans qu'un Jabo (chasseur-bombardier, en teuton) leur tombe sur la gueule. J'ai raconté dans un autre billet comment la RAF a détruit en 2 heures, de la réception du message de la Résistance au bombardement, un dépôt d'essence de la division Das Reich à Châtellerault.

Hanson faut faire un sort particulier à l'industrie d'extermination nazie. Comme dit Zygmunt Bauman, Auschwitz n'est pas une anomalie de la modernité mais son sommet. A lui seul, il justifiait (je me répète) la démantèlement définitif (autant que possible) de l'Allemagne (et la remise en cause de la modernité. Mais bien peu de mes contemporains y sont prêts).

Hanson comprend bien le rôle majeur, manipulatoire du peuple allemand, du judéocide « vilain secret de famille partagé qui colle tout le monde ensemble » (comme la pédophilie actuelle de la classe dirigeante). Tous les Allemands n'ont pas exterminé des juifs (comme tous nos dirigeants ne sont pas pédophiles) mais tous ont été mouillés.

Comme le pervers de génie qu'il est, Hitler l'a dit sans le dire, a gardé le secret tout en semant des indices (comme Macron avec la transexualité de Brigitte : officiellement, il porte plainte, officieusement, il fait des allusions). Sans ce vilain secret de famille partagé, les Allemands auraient probablement chassé Hitler en 1944.

Hanson est mal à l'aise avec la réaction des Alliés : rejet des réfugiés juifs, minimisation du drame, notamment dans l'entourage de Roosevelt (qui comportait pourtant des juifs). André Kaspi a posé le débat dans un article Fallait-il bombarder Auschwitz?.

Même si c'est rageant, la réaction des Alliés se comprend assez bien : quand tout est dit, le meilleur moyen, et en fait le seul, d'arrêter le génocide des juifs était de mettre fin à la guerre en la gagnant, il y a trop de moyens de tuer des hommes en masse quand on est motivé comme les nazis l'étaient. Notons que le comportement du pape s'éclaire et en est rehaussé.

Le vainqueur

Pour Hanson, il n'y a qu'un seul vainqueur complet de la seconde guerre mondiale : l'URSS. Tous les autres vainqueurs ont été trompés d'une manière ou d'autre dans leurs espérances par l'après-guerre

Il est beaucoup plus affirmatif dans sa conclusion que dans la partie sur la guerre aérienne.

Les pays de l'Axe, l'Allemagne, le Japon et l'Italie, ont voulu et déclenché cette guerre. Ils ont tué 80 % des victimes, dont une majorité des civils. Ils ont mis en place des plans d'extermination.

Ils ont mérité Hambourg, Dresde, Hiroshima et Nagasaki.

Ceux qui le contestent :
 
> sont victimes de la propagande anti-américaine de la guerre froide.

> vivent en paix depuis si longtemps qu'ils ont oublié ce qu'était une guerre et ce que la victoire exigeait.

Je suis moins affirmatif qu'Hanson, je doute plus, mais je crois quand même qu'il raison.


Tout ça pour ça

En septembre 1939, Paul Reynaud déclara : « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts ».

Les « intelligents » se moquèrent, mais de Gaulle et Churchill ne disaient pas autre chose.

6 ans et 60 millions de morts plus tard, les Alliés ont prouvé que Paul Reynaud avait raison : ils étaient bien les plus forts.



Mais, pour notre malheur, les officiers généraux français n'étaient pas des flèches et, de vision stratégique, ils n'en avaient pas plus que de vivacité dans l'œil de Gamelin.

Le 14 juin 1940 (le jour où les Allemands entraient dans Paris), Pierre Laval rendit visite en Auvergne à Joseph Caillaux, le vieux ministre rival de Clemenceau, où il prenait les eaux avec son épouse.

Conversation étonnante : Caillaux, qui a pourtant tourné pacifiste idéologique plus que simple pacifique rationnel, expliqua à Laval que l'Angleterre ne pouvait être envahie (la Royal Navy était trop forte), qu'elle avait les ressources de l'empire, qu'elle allait continuer la guerre et qu'il serait bon que la France envisageât de poursuivre la lutte à ses côtés. Une préfiguration du discours du 18 juin ! Comme quoi les idées de De Gaulle n'étaient pas si isolées.

Pendant ce temps, ce crétin traitre de Weygand expliquait à qui voulait l'entendre que l'Angleterre allait « avoir le cou tordu comme un poulet » et Darlan courait à Vichy au lieu de rallier Portsmouth avec la flotte. Quant à ce vieux saligaud de Pétain, la défaite lui ouvrit une carrière inespérée. Peut-on en vouloir à Caillaux d'avoir méprisé ouvertement nos généraux ?

jeudi, septembre 26, 2024

Masters of the air

 Déçu par cette série.

C'est du mauvais cinéma hollywoodien comme Sauver le soldat Ryan : beaucoup de violence et de sang en gros plan, zéro psychologie, personnages sans épaisseur, zéro contexte.

Toujours cette croyance absurde que la technique peut compenser le manque de talent.

Le film de 1949 Twelve o'clock high, avec Gregory Peck, était bien meilleur.

jeudi, août 22, 2024

Le grand rafraichissement (Benoit Duteurtre)

J'avais son dernier livre sur ma table de chevet quand j'ai appris la mort de Benoit Duteurtre d'une crise cardiaque.

C'est une grande perte mais sa finesse et son intelligence n'étaient plus adaptées à notre époque de grossiers abrutis. Il sera plus utile et mieux reçu là-haut.

Parisien détestant Hidalgo (mais je n'ai pas cru comprendre qu'il appréciait Dati), il était d'une autre époque, son humour pince-sans-rire et cultivé était incompréhensible pour les cyclistes adulescents qui « sauvent la Planète » et se prennent très au sérieux.

Comme Houellebecq, je ne pourrai plus manger d'œufs mayonnaise sans penser à lui (c'était déjà le cas).

Dans cet ultime roman, il imagine que le prétendu réchauffement climatique laisse place à un refroidissement.

Il se permet quelques digressions, comme la loi Justice Equitable, dite loi LJE, qui oblige la police et la justice à condamner par quotas. Il raconte les rafles de bourgeoises blanches dans le XVIème arrondissement, condamnées lourdement pour des peccadilles (évidemment pour équilibrer statistiquement les arrestations de zyvas dans le 9-3). C'est terrifiant parce que le lecteur ne peut s'empêcher de penser que c'est plus une anticipation qu'une fiction.

Il décrit l'acceptation résignée des bourgeoises blanches à leurs injustes condamnations par « souci d'équité ». On s'y croirait.

Petite baisse de régime de Benoît Duteutre : ses amis intellos (de gauche, forcément de gauche) éclatent de rire quand il se prétend de gauche. Il croit qu'il existe une « vraie gauche » (dont il se réclame, évidemment) soucieuse des pauvres et des injustices. Il n'a pas compris que l'essence de la gauche était le nihilisme, la destruction. Oui, il y a bien eu par le passé des gauchistes soucieux des pauvres et des injustices, mais seulement comme des moyens de détruire la société.

La conclusion de ce livre, un peu en baisse par rapport à ses meilleurs, résonne très étrangement : il écrit qu'il ne se voit pas continuer à vivre dans ce monde où touts les plaisirs de vivre ont été stérilisés, aseptisés.