jeudi, décembre 31, 2015

L'Etat, pire ennemi de la France

L'Etat, pire ennemi de la France, ce n'est pas ce que dit Pierre Legendre, c'est ce que je dis. Mais il n'en est pas loin.

Pierre Legendre : Pourquoi est-il si difficile de définir l'Etat en France ?

Pierre Legendre : État, la désintégration

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Le vrai témoin de la réalité, ce ne sont pas les invocations faciles de l'Égalité, des Droits de l'homme, et caetera, mais notre système d'Administration avec ses règles et l'édifice de ses fonctions.

Pour comprendre ça, il faut avoir à l'esprit autre chose que l'idée de pages qui se tournent grâce à des ruptures, mais penser l'existence administrative de l'État comme produit d'une histoire sédimentaire. Au bout du compte, rien n'est oublié et ça se traduit au présent, dans les faits.

Dans le contexte actuel, où l'inculture historico-juridique des élites tient le haut du pavé, ce chemin-là est barré. En conséquence, nos «truth makers» médiatiques, les penseurs à la mode et les conseillers de nos Princes, peuvent ignorer superbement la Révolution froide du Management qui sape ou tient en laisse des États sous pression. Inutile donc que j'évoque les signes d'une jungle féodale à échelle mondiale: le retour progressif et indolore de la justice privée, le marché du droit et de l'arbitrage, tous ces ressorts méconnus d'une Globalisation encore dominée par les États-Unis dont nous sommes les vassaux empressés.

Je n'irai pas jusqu'à dire: le concept État ne signifie plus rien… Je constate simplement une décomposition, faute d'analyses de cet État administratif qui soient à la hauteur. La Com et le marketing politique brouillent les cartes. Il nous reste un lot de consolation: le recours périodique à l'Union sacrée, laquelle, comme chacun sait, dure ce que durent les roses…. Amusons-nous un peu. Vers la fin du XIXe siècle, une plaisanterie grinçante a circulé ; je l'ai glanée chez des économistes qui comparaient l'esprit public de Nations européennes concurrentes: «les Anglais, tous actionnaires ; les Allemands, tous factionnaires ; les Français, tous fonctionnaires»! Depuis lors, deux guerres mondiales ont bouleversé les données, et l'Allemagne prussienne a disparu. Mais sur l'esprit public d'ici, cette maxime contient un fond inévacuable de vérité….

Je me souviens de l'ultime propos de mon film Miroir d'une Nation. L'Ecole Nationale d'Administration, sorti en 2000: «S'il n'y a plus de Nation, pourquoi y aurait-il des fonctionnaires?»

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Nous vivons les vestiges incompris de ce qu'avait inventé la République terroriste de Robespierre et de Saint-Just: un État à double commande. D'un côté, la légalité constitutionnelle incarnée par le pouvoir d'une Assemblée, la Convention ; de l'autre, la légalité insurrectionnelle, c'est-à-dire le pouvoir de la rue aux mains, nous dirions aujourd'hui, du lobby de la Commune de Paris. Je continue de penser que ce schéma a laissé une empreinte profonde.

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Ces temps-ci, une certaine presse aux accents de Pravda à la française parlait avec une emphase admirative d'un intellectuel dont le discours, je cite, «a renversé la table». Mais alors, pourquoi le discours d'un parti ne réussirait-il pas le même exploit? Manifestement, les amateurs de discours renversants sont pris de court. Amuser la galerie avec le Front National ou avec Monsieur Tapie naguère présenté comme un modèle à la jeunesse, ça ne dure qu'un temps. Et je ferai remarquer que le FN étant devenu le fournisseur d'un vocabulaire patriotique qu'on cesse de brocarder, nécessité oblige …., il se peut que ce Front National finisse par obtenir paiement pour services rendus !

Ma conclusion tient en peu de mots. Si au moins la percée revancharde du FN donnait à réfléchir, ce pourrait être un gain, le gain d'une leçon. Mais j'en doute.

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L'État à la française est le Rédempteur laïque, un Sauveur sécularisé. Dans cette perspective, je ne vois pas où serait la différence entre l'État monarchique et l'État révolutionnaire. La contre-épreuve, c'est la situation concrète de l'État administratif menacé par l'intégrisme individualiste. Le «service de l'État» ne veut plus rien dire, face à l'idéologie du libre choix sur le marché de tout, qui prétend disposer de tout, donc de la logique fiduciaire des institutions. Et ça donne quoi ? Un monde à l'envers, où l'État, perdant sa raison d'être, dissout le rapport à l'autorité, bannit les tabous protecteurs, démolit les normes langagières elles-mêmes. Évidemment, ça commence par défaire l'Éducation, ces lieux dont notre professeur Renan disait: «L'État met la main sur l'âme».

Aujourd'hui, ça consiste à produire des citoyens qui désapprennent à apprendre les fondements normatifs du lien social et ne sont que créanciers ….

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Nos sociétés post-hitlériennes ont effectivement muté. La perversion nazie a discrédité le fondement de toute autorité. Elle a aussi montré qu'on pouvait gouverner tout un peuple en donnant la même valeur au fantasme et au raisonnement! Par effets en chaîne, les interdits sont à discrétion, les tabous peuvent tomber les uns après les autres à l'échelle d'une Nation. Et l'expérience a montré la facilité avec laquelle la science est mobilisable pour soutenir la dé-Raison… Je considère que nous avons tout simplement retourné la carte du nazisme, sans la détruire et surtout sans la comprendre. Transposant une expression de l'écrivain américain Scott Fitzgerald, je dirai que nous vivons dans un «abattoir de pensée».

Le dépérissement de la Raison généalogique, ça se paye, et très cher, par le meurtre et l'inceste.

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Je n'ai cessé de fréquenter les institutions ayant particulièrement à dire ceci. La déséducation est devenue une politique, dont on recueille aujourd'hui les fruits. Je réprouve le fondamentalisme sous toutes ses formes, y compris quand, par exemple, au sommet de l'État républicain-laïque, on s'est permis, à l'adresse de lycéens, de faire l'apologie de la provocation des Femen manifestant dans la fameuse Église du Sauveur à Moscou, que Staline en son temps avait rasée pour la transformer en piscine…. Et de surcroît, de faire émettre le timbre de Marianne sous les traits d'une Femen! Si c'est ça l'intégration, elle veut dire une désintégration avancée de l'État lui-même. En ce cas, je dis qu'on prépare les djihadistes de demain ou alors que, tout simplement, la jeunesse est poussée à vivre déboussolée.

Encore un mot, puisque j'ai évoqué la terreur djihadiste. Ces temps-ci, j'entends un mot étrange: déradicaliser. Il m'a fait penser (et je ne suis pas le seul) à dératiser…. Sans doute ai-je la tête à l'envers, mais je demande: qu'est-ce que ça signifie exactement ? Après la guerre, on parlait de lavage de cerveau. Je ne connais pas la méthode que suppose la déradicalisation chez les spécialistes qui la pratiquent. Et qu'est-ce que ça vaut au-delà de quelques jeunes égarés qu'on ramènera au bercail républicain?  Et les autres ? De même qu'on n'a pas vaincu le nazisme par des arguments, mais par les armes, on ne viendra pas à bout de l'épidémie de ceux qui se donnent pour idéal le meurtre, par des mesures à caractère symbolique.

Une fois de plus, je constate qu'il n'est pas question de s'interroger sur la racine du mal, cette désintégration dont j'ai parlé. Enfin et pour en terminer, je félicite le conseiller en Com qui a fabriqué le slogan infantile «mariage pour tous». Au moins ça, c'est une trouvaille, une formule qui tape dans le mille, à notre époque où les pouvoirs de tout poil attendent des résultats en traitant l'opinion publique comme une foule de pré-adolescents.
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