lundi, avril 28, 2014

Le mécontemporain (A. Finkielkraut)

L'élection d'Alain Finkielkraut à l'Académie Française m'a donné envie de lire ce livre. Je me doutais qu'il allait m'intéresser.

De Péguy, on ne connaît plus qu'une image : le chantre de la patrie charnelle, tué à l'ennemi en septembre 1914 après des vers prémonitoires. Certains, plus cultivés, se souviennent aussi du fils de la rempailleuse de chaises, normalien et dreyfusard.

On comprend immédiatement pourquoi Finkielkraut a eu la bonne idée d'exhumer Péguy : il était tellement visionnaire qu'il tombe à pieds joints dans les débats actuels.

Finkielkraut commence par faire un sort à la colère de Péguy. En effet, Péguy s'exprime quasiment toujours sur le ton de la colère (ce qui est lassant). On a mis cela un peu aisément sur le compte de l'ambition frustrée. Finkielkraut fait remarquer qu'il y a des cas où l'homme en colère a raison et l'intellectuel détaché et serein tort.

Péguy détestait la modernité parce qu'elle créait un homme déraciné et «surplombant», ne faisant plus partie du monde mais le regardant de haut comme une chose infiniment malléable, y compris les autres hommes. L'homme moderne croit pouvoir se créer lui-même et ne rien devoir.

L'image du bois et du fer est explicite.

Le bois est un matériau à l'ancienne : il a ses veines, ses courbes, ses noeuds, son histoire. Il est une donnée. Tout l'art du menuisier ou du sculpteur est d'en tirer le meilleur. Un coup de ciseau de trop et c'est foutu. L'homme est sur le même plan que le bois.

Le fer est un matériau moderne. Il est putassier. Il n'est pas une donnée, il se donne. Une fois fondu, il n'a plus d'histoire. Il est ductile, soudable, on peut corriger les erreurs. Il se soumet sans rechigner aux calculs.

Pareil pour la science, on est passé de l'observation à l'expérimentation. L'observation, c'est la nature qui se donne à voir. Une expérience, cela consiste à mettre la nature dans une situation artificielle aux convenances de l'homme.

Vous voyez, Péguy n'aurait absolument pas été surpris par le «mariage pour tous». Péguy invente un mot pour qualifier le monde moderne : la «panmuflerie», la muflerie en toute chose. Incidemment, on comprend à quel point nous méritons François Hollande, le président mufle.

Où est le problème de la modernité ? C'est qu'elle ampute l'homme de sa dimension la plus importante, sa dimension spirituelle. Avec la dimension spirituelle, c'est la dimension historique  qui disparaît car nous sommes des héritiers avant tout par l'esprit et par la culture. Péguy fait remarquer que nous avons le devoir de protéger les morts, il sont très vulnérables, ils ne peuvent plus se défendre : il suffit qu'une génération cesse de transmettre leur héritage et ils sombrent dans l'oubli.

Péguy a lui-même été victime de crime posthume, puisqu'il est désormais associé aux pétainistes et que certains voient en lui un précurseur du fascisme.

Qu'est-ce qui distingue Maurras et les pétainistes de Péguy ? Quand Maurras écrit la «la seule France», c'est encore un individualisme matérialiste. Certes, sur une base collective, mais ce n'est pas très différent de penser que seules les nations existent comme les individualistes pensent que seuls les individus existent.

Les individualistes pensent que seuls les individus existent et que la nation n'est qu'une idée. Les maurrassiens pensent que seules les nations existent et qu'elles sont matérielles.

Péguy les renvoient dos à dos en disant que la nation est, à la fois, matérielle et idéale. C'est ainsi qu'il combine son dreyfusisme, soutien à la France idéale, et son soutien à l'armée, soutien à la France charnelle.

Tout cela est bel et bon, mais il y a tout de même un truc qui me chiffonne : Finkielkraut réussit à écrire tout un livre sur la pensée de Péguy sans évoquer autrement qu'au détour d'une demi-phrase son spectaculaire retour au catholicisme. C'est une sorte d'exploit. Je ne suis pas bien sûr qu'il faille applaudir Finkielkraut.

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