samedi, novembre 21, 2009

Le modèle de management du diplodocus


Desproges disait : «Le diplodocus est tellement gros qu'il ne s'entendait même pas péter.»

Autre aphorisme, j'ai connu un trésorier d'aéroclub qui disait : «L'aéroclub idéal est celui qui n'a ni avions ni membres».

J'ai souvent l'impression que le croisement de l'aéroclub idéal et du diplodocus est le modèle des grands groupes inertes (et de leurs filiales).

C'est chiant d'avoir des salariés et d'essayer de faire des trucs, en un mot, d'entreprendre. C'est risqué et couteux.

Alors, on nomme des hauts fonctionnaires, insipides et sans autre ambition que mesquine, n'ayant fait, pour paraphraser Beaumarchais, qu'avoir à vingt ans le diplôme d'une école prestigieuse et que fayoter dans un cabinet ministériel.

Ils ne connaissent rien à l'industrie. Le pire, c'est qu'ils sont fats au point de se croire compétents.

En réalité, la seule compétence qu'ils ont démontrée avant d'arriver à être bombardés PDGs est la souplesse d'échine, le talent courtisan, l'habileté à naviguer dans la haute administration. Qualités qui ne sont pas négligeables, mais tout de même peu utiles à la tête d'une entreprise.

Alors, ils font la seule chose qu'ils connaissent : ils suscitent une cour pour se protéger de la réalité (ce qui leur permet de s'isoler de choses aussi pénibles que les employés) puis ils gèrent leur boite comme une administration (c'est normal, ils ne savent rien faire d'autre) avec quelques fantaisies héritées de bouquins de management lus en diagonale. Il y a aussi des consultants (des petits cons ou des vieux requins sortis du même moule) pour les rassurer dans leur incompétence.

Bien sûr, en route, ils perdent l'adhésion et la motivation des salariés (1), mais ça n'apparaît pas dans les indicateurs (et si, par le plus grand des hasards, la réalité fait quand même irruption, de toute façon, ils ne comprendront pas que c'est leur personnalité de rond-de-cuir de luxe, dénué de toutes qualités de meneur d'hommes, qui est la cause de cette désaffection).

Ils continuent à faire joujou avec les leviers de l'irréalité, à grands coups de présentations Powerpoint creuses et grandiloquentes, dans le plus pur style technocratique (on m'a raconté une réunion dans une entreprise dirigée par un de ces technocrates où l'on a eu le malheur de présenter à des cadres les planches ayant servi au comité de direction : ils ont éclaté de rire).

Evidemment, dans ces structures, la cour joue un rôle essentiel. Il est primordial que le PDG soit protégé du fait que ses cadres éclatent de rire en voyant ses planches.

Les rois de France avaient l'intelligence (au moins jusqu'à Louis XV) de se débrouiller pour avoir des antennes leur permettant de court-circuiter la cour. Dans les grands groupes du privé, on voit quelquefois des organisations similaires.

Francis Bouygues avait les compagnons du Minorange qui pouvaient le contacter directement, mais il n'était ni X-Mines, ni énarque, et n'avait pas débuté sa carrière en léchant les pompes (ou pire) d'un ministre.

En revanche, nos X-Mines et autres énarques, tout du moins ceux dont je vous parle, sont des courtisans dans l'âme. Ils évitent soigneusement toute confrontation avec la réalité, ils sont bien plus à l'aise dans les jeux de cour, qui seuls comptent pour leur carrière, pas la réalité.

J'ai en tête l'exemple du PDG d'une filiale d'un groupe aéronautique. Elle avait des problèmes de retards de production. Il n'a résolu aucun de ces problèmes. Ca ne l'a pas empêché d'être nommé à la tête d'une plus grosse filiale, qui a elle aussi des problèmes de retard de production et que, bien entendu, il n'a pas plus résolus (2).

Cette nomination est contraire au bon sens si vous croyez que le critère est l'efficacité, mais c'est là que vous faites une lourde erreur. Si vous prenez comme critère la courtisanerie, cette nomination devient tout à fait explicable : il a su, avec une intelligence certaine, se bâtir une image, se mettre dans un clan qui lui assurait une place, se faire voir au bon moment, ne pas se faire trop d'ennemis, faire faire sa réclame par des amis bien intentionnés, etc ... Tous les talents du petit courtisan.

On disait «Ah, si seulement le roi savait ...», mais on ne dit pas «Ah si seulement le PDG savait ...», car on sait que, si il savait, ça l'emmerderait et on se ferait sacquer pour l'avoir dérangé dans sa sphère d'irréalité. Certains de ces PDGs me rappellent les théologiens discutant du sexe des anges alors que les Turcs étaient sous les murs de Byzance.

Comment ces boites-là tiennent-elles le coup ? Très simplement : le PDG n'est pas si important qu'il croit et que sa cour le lui fait croire. Il faut du temps (à moins d'avoir le talent de destructeur d'un Tchuruk, d'un Haberer ou d'un Messier) pour user la bonne volonté, la réputation et le savoir-faire accumulés pendant des années.

Ce qui sauve ces sociétés, c'est que les PDGs passent et les salariés restent. Elles peuvent s'estimer bien heureuses si ces oiseaux de passage se sont contentés de ne pas faire de dégâts.

Mais les entités humaines ont besoin d'être incarnées. Quel délice pour un salarié de voir sa société incarnée par un technocrate fade, sans personnalité, qu'on peut résumer à un sigle, X-Mines 80 par exemple, interchangeable, à part la couleur de la cravate, avec son prédécesseur !

On revient au diplodocus : grosse boite, petite tête, bien isolée du reste du corps par un grand cou.

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(1) : le sondage indiquant que 93 % des employés de EADS se disent démotivés a été rendu public. Mais j'ai quelques raisons de croire qu'il en est de même dans d'autres entités et d'autres groupes dirigés par des technocrates.

(2) : je pense que c'est assez facile de deviner à qui je fais allusion, son om est paru dans la presse abondamment il y a quelques mois, mais je ne veux pas le citer alors qu'il n'est qu'un exemple et que ses semblables ne sont pas meilleurs.

9 commentaires:

  1. Bjr; cela n'a pas de rapport avec cet article en particulier, mais comme vous avez toujours tenu à parler vrai sur le "réchauffisme", vous serez heureux de savoir que le site du Hadley/CRU a été piraté récemment et que les révélations de fraude sont accablantes!

    Quelques liens (entre autres!): http://market-ticker.denninger.net/archives/1648-Global-Warming-SCAM-HackLeak-FLASH.html


    http://yelnick.typepad.com/politick/2009/11/fear-and-loathing-in-global-warming.html


    http://blogs.wsj.com/environmentalcapital/2009/11/20/hacked-sensitive-documents-lifted-from-hadley-climate-center/

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  2. Remarquez, vaut mieux qu'ils n'en fasse pas trop plutôt que couler l'entreprise et la France avec (Crédit lyonnais)...

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  3. Quand on croise un de ces technocrates, on a envie de lui foutre un coup de poing dans la gueule ou de le pincer ou de le chatouiller, juste pour vérifier que c'est un être vivant et non un robot.

    Mais ils ne sont pas entièrement coupables de leur fadeur et de leur absence de personnalité : ils sont le produit d'une société vieillissante.

    ils n'auraient pas tenu cinq minutes au début de l'aviation ou à la reconstruction.

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  4. Et puis, les plus blâmables sont les petits courtisans à genoux devant ces grands courtisans.

    Le fonctionnement du monde politico-industriel français de 2009 rappelle Versailles sans le bel esprit, sans le beau parler (on y parle un horrible jargon snob truffé de faux anglais).

    C'est une sorte de Versailles de vulgaires à diplômes. Tous les inconvénients de la vie de cour sans aucune de ses beautés.

    Ce n'est pas aujourd'hui qu'on y verra naître un La Fontaine, un La Bruyère, un Bossuet ou un Saint-Simon.

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  5. Finalement, je me demande si, mon plus gros reproche, ce n'est pas le mauvais goût.

    Etre subordonné, oui. Il faut bien toujours être subordonné à quelqu'un ou, à quelque chose.

    Mais à des êtres si vulgaires, si insipides, si passe-partout ?

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  6. "on a envie de lui foutre un coup de poing dans la gueule ou de le pincer ou de le chatouiller, juste pour vérifier que c'est un être vivant et non un robot."

    ^^

    Sinon, vous avez fréquenté ce milieu ? Vous avez l'air de vouloir régler des comptes.

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  7. Régler des comptes ? Certainement pas. Ce que je décris est si répandu qu'il n'y a que l'île déserte pour y échapper.

    C'est comme les intempéries : il faut se faire. Ça se passe si haut au-dessus de nos têtes qu'il serait idiot d'en concevoir un autre sentiment que la curiosité de l'observateur.

    Je n'appartiens pas à ce milieu : ceux qui y appartiennent sont assez cyniques, intelligents et désabusés pour ne pas exposer leurs opinions naïvement comme je le fais.

    Disons que je suis tout de même assez près (ou j'ai des amis assez près) pour deviner certaines choses et trop insignifiant pour qu'on m'en veuille.

    D'ailleurs, j'ai de l'indulgence pour les courtisans, grands et petits, que je décris. Ils sont prisonniers d'un système et ils ont une famille à nourrir.

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  8. Correction : "Il faut se faire une raison"

    si j'étais à la place de ces courtisans, serais-je meilleur qu'eux ? Je ne pense pas.

    Il faut faire comme certains gentilshommes de province : renoncer aux honneurs et éviter la cour.

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  9. J'ai eu l'occasion de voir les powerpoint présentés en comité de direction générale à l'appui d'orientation de décisions : face à chaque thème, en guise d'argumentation, figurait un smiley !
    rigolard et orange pour flécher la bonne décision, vert et dépité pour les impasses. Ce document était accompagné de chiffres non totalisés !

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