mercredi, janvier 21, 2009

Team of rivals (Doris K Goodwin)

C'est, paraît-il, cet ouvrage qui a inspiré Barack Obama dans la sélection de son gouvernement.

Abraham Lincoln est d'une espèce totalement inconnue en France : le grand homme d'Etat modeste. Notre spécialité serait plutôt les minus vaniteux (suivez mon regard).

Rien n'est plus éloigné de l'homme providentiel que Lincoln et, pourtant, il est absolument remarquable.

D'origine très modeste, il s'est fait tout seul. Savoir lire et écrire correctement est une arme redoutable. Un homme qui a reçu cette base peut faire sa vie librement (c'est pourquoi notre système éducatif qui, très prudent, se méfie des hommes libres, leur préférant les bons petits moutons de la bien-pensance, fait en sorte que ça n'arrive plus). Lincoln s'est formé tout seul en lisant et en écrivant jour et nuit (il n'avait pas la télé). J'ai bien peur que la recette pour faire de tels hommes ait été perdue.

Il a réussi à force de ténacité, mais, en même temps, ça n'était pas un vieux routier de la politique. Quasi-inconnu au début de la convention républicaine de Chicago, il a manœuvré avec art pour être le seul à ne pas avoir d'ennemis irréductibles. Il a été désigné comme candidat à la surprise générale. Certains ont même écrit que, par cette désignation d'un inconnu «quasi-illettré», le parti républicain se discréditait.

En réalité, c'est tout le contraire : l'homme allait faire preuve d'un talent politique rarement rencontré dans l'histoire.

Les difficulté commencent dès la période de latence entre son élection comme président (là encore, campagne remarquable : choix des «schwerpunkts» très juste) et son investiture : le parti républicain menace d'éclater et les Etats du sud commencent à faire sécession.

S'appuyant sur ses rivaux dont, à force de modestie ferme (il ne tombe pas dans la complaisance),il a soigné l'ego, il réussit à sauver les meubles alors qu'il n'a encore aucun pouvoir. Par certains cotés, il me rappelle Churchill gagnant du temps en mai 1940 (même si les styles sont opposés).

Il nomme à des postes de responsabilités des rivaux et des opposants, qui croient bien souvent qu'ils vont pouvoir le manœuvrer. Mais c'est confondre modestie et faiblesse. L'affabilité de Lincoln est un instrument de domination très puissant : personne ne trouve de prise pour lui en vouloir durablement.

De plus, sa civilité n'est pas un signe de manque de confiance en soi mais, au contraire, elle prouve qu'il sait qui il est, qu'il n'a pas besoin des signes de pouvoir, généralement inspirés des animaux en rut, habituels chez les chefaillons.

On se dit toujours que ce qui est arrivé devait arriver. Dans le cas de Lincoln, cela donne à réfléchir : d'un coté, il est difficile d'envisager que tant de talents politiques eussent pu rester sans emploi ; d'un autre coté, son élection comme président était seulement son deuxième succès électoral (remarquable Amérique, capable de voter pour un inconnu).

Pour conclure, vous remarquerez qu'on peut faire quelques parallèles avec Obama. C'est tout le mal que je souhaite aux Américains.

Je reviens à la France, je n'y vois pas de politicien dans le style de Lincoln, qui s'impose par ses qualités sans éprouver le besoin d'écraser ses adversaires. Peut-être Henri IV ...

5 commentaires:

  1. "C'est pourquoi notre système éducatif qui, très prudent, se méfie des hommes libres, leur préférant les bons petits moutons de la bien-pensance, fait en sorte que ça n'arrive plus."

    Oui, il est tentant de penser cela. Tout se passe comme si. C'est également ce que disent une partie des gauchistes: les patrons veulent des abrutis à leur botte, etc.

    Hélas, ou heureusement, je pense qu'il n'y a pas de grand architecte. On cherche toujours des coupables ayant délibérément provoqué les catastrophes sociales, parce qu'il est angoissant de penser que personne n'est directement responsable, de se rendre compte qu'on ne peut pas s'en prendre à un comité de salopards vicieux qui, en secret derrière des portes capitonnées, comploterait pour ruiner sciemment l'éducation.

    C'est la même chose avec le 11-Septembre, le SIDA, etc: la réalité est tellement effrayante que les Occidentaux se persuadent que c'est Bush qui a envoyé les avions dans les tours, les Africains se persuadent que c'est le Blanc qui a inventé le virus pour les détruire, et ainsi de suite.

    Mais je crois l'explication beaucoup plus simple. Les motivations avancées par les chefs de l'éducation sont certainement sincères. En interdisant la transmission des connaissances et la sélection, ils croient vraiment lutter pour l'égalité des chances, l'anti-racisme et le progrès social.

    Ajoutez à cela la télévision, la société de consommation et l'immigration de masse illettrée et violente: il n'en faut pas plus.

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  2. Mon propos était ironique. Je suis d'accord avec vous : point besoin d'être volontairement méchant pour faire de grosses conneries.

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  3. Quitte à lire un livre sur Lincoln, peut être Obama aurait il mieux fait de lire celui ci : http://www.mises.org/store/Real-Lincoln-The-P172.aspx

    Personne ne remet en cause sa grande habileté politique (et de ce point de vue, Obama semble bien être de la même veine). Mais quel est son héritage ? Une guerre civile fratricide, 600 000 morts, un effondrement économique, la suspension de l'habeas corpus, un régime de guerre quasi dictatorial et la transformation radicale de l'Union en gouvernement centralisé. Lincoln a définitivement mis sur les rails l'Amérique dans une direction diamétralement opposée à celle voulue par les pères fondateurs de la démocratie américaine.

    Le père de l'émancipation des esclaves ? Voyons un peu ce qu'il écrivait sur le sujet :

    "Si je pouvais sauver l'Union sans libérer un seul esclave, je le ferais"
    A. Lincoln.
    Washington, August 22, 1862.

    « ... Je dirai donc que je ne suis pas et je n'ai jamais été en faveur de l'égalité politique et sociale de la race noire et de la race blanche, que je ne veux pas et que je n'ai jamais voulu que les Noirs deviennent jurés ou électeurs ou qu'ils soient autorisés à détenir des charges politiques ou qu'il leur soit permis de se marier avec des Blancs. [...] Dans la mesure où les deux races ne peuvent vivre ainsi, il doit y avoir, tant qu'elles resteront ensemble, une position inférieure et une position supérieure. Je désire, tout autant qu'un autre, que la race blanche occupe la position supérieure . »
    A. Lincoln.

    Oui Lincoln était opposé à l'esclavage. Mais cette hypothèse passait loin derrière la volonté de stopper toute vélléité de sécession ou opposition à la montée du pouvoir de Washington. Et ca ne change pas le fait qu'il ait été raciste, partisan du retour des populations noires américaines en Afrique, ségrégationniste et profondément opposé à l'interacialité.

    Certes il restera dans l'histoire comme l'auteur de la proclamation d'émancipation des esclaves. Mais encore faut il l'avoir lu. Ce n'est pas une proclamation d'émancipation inconditionnelle de tous les esclaves. C'est un document de propagande en temps de guerre à visée très politique et au contenu on ne peut plus polémique. La proclamation d'émancipation indique ainsi que tous les esclaves des seuls états qui refusent de revenir au sein de l'union sous 30 jours seront émancipés. Ce qui signifie que les esclaves des autres Etats ne le sont pas. Et que ceux d'Etats qui auraient capitulés et renoncés à la sécession ne l'auraient pas été. Drôle de conception de la liberté.

    La Guerre de Sécession n'a pas pour sujet l'émancipation des esclaves (on l'appelerait la guerre d'émancipation je suppose), mais bien le droit d'Etats de l'Union de faire sécession ou pas. Lincoln a conduit une guerre fratricide qui a fait plus d'un demi millions de morts pour s'assurer que le droit de faire sécession ne soit pas reconnu (ce qui est absurde s'agissant d'une fédération libres d'Etats qui se sont unis suite à leur propre sécession de l'empire britannique).

    Le sud a fait sécession pour des histoire d'équilibre des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et le droit des Etats, et des questions d'impots et de droits de douanes. S'ils ne l'avaient pas fait, Lincoln se serait parfaitement accomodé de l'esclavage dès lors qu'il aurait été la condition de maintient de l'Union et d'un pouvoir toujours plus fort à Washington.

    Lisez Lysander Spooner, un contemporain de Lincoln, farouche opposant à l'esclavage ET à la guerre de sécession : http://www.lysanderspooner.org/notreason.htm#no1

    Alors oui Obama (et je n'ai rien contre lui en particulier) est un vrai descendant de Lincoln, Wilson et Roosevelt. Son discours avant hier était une vrai ode à l'expansion indéfinie de l'action étatique, évidemment au nom du bien de tous.

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  4. Je connais cette thèse sur Lincoln, c'est celle par exemple de Jose Luis Borges.

    Elle me semble partiale :

    > Lincoln n'a pas commencé la guerre. Le Sud était décidé à faire sécession et s'est lancé dans la guerre avec enthousiasme. On peut par contre discuter de sa décision de la faire jusqu'au bout.

    > Il est dangereux d'isoler ses déclarations sur l'esclavage. Il a beaucoup varié pour des raisons tactiques, ménageant tour à tour les durs et les modérés de son parti. Quand tout est dit, c'est quand même lui qui a fait passer l'émancipation.

    > il est exact qu'il était surement plus motivé par le maintien de l'union que par l'émancipation.

    Il me semble que les critiques de Lincoln pèche par anachronisme : ils connaissent la fin.

    Si on avait dit à Lincoln «La sauvegarde de l'union vaut-elle 600 000 morts ?», je ne suis pas sûr que sa réponse aurait été positive, mais ce n'est pas ainsi que la question s'est présentée à lui.

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  5. Vous dites que Lincoln n'a pas commencé la guerre ... Que je sache, le sud a fait sécession, pas envahit le nord. Le sud a immédiatement proposé un traité de paix avec le nord, et de payer pour les propriétés fédérales présentes sur leur territoire. Lincoln a déclaré dans son discours inaugural que la sécession était nulle et non avenue et qu'il était impossible de faire sécession, et a refusé de discuter avec d'un quelconque traité avec le sud dont il ne reconnaissait pas le nouveau gouvernement. Loin de moi l'idée de soutenir les motivations du sud ou leurs choix politiques, mais si le nord avait reconnu leur droit à la sécession il n'y aurait jamais eu de guerre civile.

    Maintenant, je ne remet pas en cause l'intégrité de Lincoln. Je suis sur qu'il était persuadé de faire le bon choix, que sauver l'union était dans l'intéret supérieur de la nation etc ... Il ne s'est pas lancé dans cette guerre sur un coup de tête et il aurait tout fait pour l'éviter dès lors que l'Union était préservée. En faisant cela, il a changé le cap de la révolution américaine en faisant des Etats Unis un Etat Nation comme un autre ou la raison d'Etat l'emporte sur le reste.

    De même que je ne remet pas en cause la sincérité d'Obama quand il pense et déclare que l'Etat est la solution à (presque) tout. Il est dans la droite ligne de ses prédécesseur, à commencer par Lincoln.

    Enfin, quand vous dites que les critiques de Lincoln pêche par anachronisme, ce serait vrais si je ne citait que DiLorenzo. Mais sa thèse rejoint celle de Lysander Spooner qui est contemporain des événements en question. Et qui de surcroit n'est pas sudiste, pas esclavagiste, et au contraire abolitionniste convaincu.

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