samedi, décembre 23, 2006

La rupture tranquille, qu'est-ce que c'est ?

En quelques années le Canada a réduit ses dépenses publiques et effacé les déficits budgétaires. De passage à Paris à l'occasion des entretiens de Royaumont, l'ancien premier ministre canadien Jean CHRETIEN a donné au Figaro Economie une interview qui nous apprend beaucoup sur cette réforme.

Tout en se refusant à donner des conseils à l'occasion des élections en France, il a néanmoins précisé :

« Je ne constate qu'une chose : au Canada, nous avons réalisé neuf exercices budgétaires excédentaires d'affilée, ce qui a profondément changé le langage des hommes politiques. Alors qu'avant, tout le monde expliquait que le déficit avait du bon car il s'agissait d'un investissement pour le futur, aujourd'hui plus aucun responsable politique n'ose mentionner le mot déficit. Désormais, l'appréciation des qualités d'un ministre se fait sur sa capacité à bien mener son ministère sans augmenter ses dépenses ».


Heureux Canadiens !

« Nous étions dans une situation désespérée avec un déficit de plus de 6% du PIB. Tous les partis disaient vouloir rééquilibrer le budget en cinq ans. En ce qui me concerne, j'avais opté pour un langage franc. Je pensais que cet objectif était trop dur et pas réaliste et je m'étais engagé à ramener le déficit au niveau de Maastricht, c'est-à-dire 3% du PIB. On a finalement équilibré nos comptes en trois ans, plus vite que prévu ».


C'est donc possible.

Question du Figaro : pourquoi ce message a-t-il pu être accepté par les électeurs ?

« Nous avons expliqué pourquoi nous devions le faire car nous étions face à un mur. On en était arrivé à un point où les gens pensaient que le Fonds monétaire international allait venir gérer nos affaires en direct. Comme nos taxes étaient déjà extraordinairement élevées, il était impossible d'augmenter les impôts. Il n'y avait qu'une seule solution : réduire les dépenses. ».

« Nous avons réduit de 30 à 40% le budget de certains ministères et diminué de 19% le nombre de fonctionnaires, en les incitant à partir avec des parachutes dorés. Au total, notre budget est passé de 121 à 101 milliards de dollars. Pour faire accepter ces coupes difficiles, j'ai créé un comité du trésor réunissant les principaux ministres, présidé par le ministre du budget. L'objectif était de réduire les dépenses de tout le monde, il n'y avait pas d'enfants chéris, c'était le principe même de la solidarité ministérielle : nous étions tous dans le même bateau. ».

« En tant que premier ministre, je jouais le rôle de cour d'appel en cas de litiges, mais cette cour ne siégeait pas ! La clef, dans ce type de réforme, c'est que le chef du gouvernement soutienne sans faille son ministre du budget ».

Et Jean CHRETIEN d'ajouter qu'avec cette politique, le Canada a même dégagé des surplus, qui ont servi à mener de vraies politiques, en particulier d'investissement en capital humain dans les universités en créant deux mille chaires d'excellence, ce qui fait que le Canada a cessé de « perdre des cerveaux », mais en acquiert au contraire :

« Nous avons maintenant le plus haut niveau de diplômés de l'enseignement supérieur au monde ».

Ce qui est intéressant dans l'exemple canadien, c'est que ce pays n'a pas connu l'équivalent d'une révolution reaganienne ou thatchérienne, et qu'il s'est pourtant réformé en profondeur parce que la classe politique, unanime, a compris qu'il fallait rompre avec les politiques antérieures et que cette fuite en avant des dépenses ne pouvait plus durer. Une révolution tranquille en quelque sorte.

On remarque que, contrairement à ce qu'on agite comme épouvantail en France, le recul de l'Etat n'a en rien conduit à l'écroulement du pays, bien au contraire. Les fonctionnaires peuvent faire l'équation "Etat = pays", c'est naturel, par contre il n'y a aucune raison pour que le reste des Français admettent cette folle équivalence.

La classe politique française se méfie unanimement des idéologies (sauf de l'idéologie socialiste, bien sûr) ; les Canadiens n'ont pas agi par idéologie, mais par nécessité et simple bon sens. Chez nous ceux qui prônent la rupture tranquille sont-ils prêts à diminuer de 19% le nombre de fonctionnaires, comme au Canada ? Et d'environ 20% en moyenne le budget ?

Pour nous, le recul de l'Etat et le libéralisme sont des nécessités morales.

Mais si les hommes politiques français découvrent « pragmatiquement », comme les Canadiens, qu'il faut en finir avec l'Etat tout puissant, et réduire d'un cinquième le nombre de fonctionnaires, nous ne ferons pas la fine bouche. Mais pour l'instant en France, on est loin de la situation canadienne : le déficit apparaît chez nous comme une vertu. KEYNES est toujours le maître à penser de la classe politique française, il est vrai qu'il n'était pas « idéologue » !

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